Benoît XVI et Maria Valtorta
Josef Ratzinger, né 16 avril 1927 à Marktl et décédé le 31 décembre 2022 au Vatican, est un prélat catholique allemand. Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi durant le pontificat de Jean-Paul II, il est élu pape le 19 avril 2005 sous le nom de Benoît XVI. Il est concerné par le dossier Maria Valtorta à trois titres:
- En tant que Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi il eut à se prononcer par deux fois par écrit sur les écrits de Maria Valtorta (1985 et 1993). Un avis inchangé à ce jour (2025). Il a rappelé et explicité la valeur et la place des révélations privées (2000) .
- Devenu pape Benoît XVI il a codifié ce domaine (2008, 2010).
- Dans la dernière année de son pontificat, il a proclamé la béatification de deux soutiens connus de l'œuvre de Maria Valtorta (2012).
Il a donc consolidé le fondement magistériel des révélations privées et déterminé le cadre dans lequel l'œuvre de Maria Valtorta s'insère dans l'Église.
En tant que Préfet de congrégation[modifier | modifier le wikicode]
Joseph Ratzinger participe comme "peritus[1]" au concile Vatican II, où il est considéré comme réformateur et œuvre à la réforme du Saint-Office (surnommée la "Suprême" en raison de son importance). Une congrégation refondée en Congrégation pour la doctrine de la foi dont le pape Jean-Paul II lui confiera la charge (Préfet) en 1981. Il l'assumera du 25 novembre 1981au 13 mai 2005, date à laquelle il est intronisé pape.
Lettre du 31 janvier 1985 au cardinal Giuseppe Siri[modifier | modifier le wikicode]
En 1985, quatre ans après sa nomination, il eut à se prononcer sur Maria Valtorta à la demande d'un religieux du diocèse de Gênes. Il répond au cardinal Giuseppe Siri, archevêque du lieu. Dans cette lettre le cardinal Josef Ratzinger déconseille la diffusion de l'œuvre de Maria Valtorta sur la foi du dossier qu'il découvre. Il la pense malsaine non pas dans l'absolu, mais pour la catégorie des fidèles "les plus vulnérables". On suppose qu'il fait allusion à des lecteurs peu informés qui confondraient l'œuvre de Maria Valtorta avec l'Évangile canonique, thème sur lequel il insistera ultérieurement.
Cette lettre, qui a fuitée, a largement été reprise par les opposants qui s'y réfèrent pour cautionner la pérennité de la condamnation de l'œuvre, au-delà de l'abolition de l'index, et sa nocivité. Ce point de vue peut se justifier au regard de cette seule lettre, hors contexte, mais par la suite le cardinal Josef Ratzinger eut l'occasion de lire lui-même l'œuvre de Maria Valtorta au long d'une année et d'autoriser sa diffusion dans le cadre de la lecture prudentielle prônée par l'Église pour toutes les révélations privées.
Texte de la lettre[modifier | modifier le wikicode]
| Texte italien retranscrit | Traduction française indicative |
|---|---|
| SACRE GONGREGAZIONE PER LA DOTTRINA DELLA FEDE
00193 Roma, 31 gennaio 1985 Prot. N. 144/58
con lettera del 18. Maggio p.p., il Reverendo Padre Umberto Losacco, Cappuccino (Via Montani, 1 - 16148 Genova) chiedeva a questa S. Congregazione una chiarificazione circa gli scritti di Maria Valtorta, raccolti sotto il titolo "Il Poena dell'Uomo-Dio"e se esisteva una valutazione del Magistero della Chiesa sulla pubblicazione in questione con il corrispettivo riferimente bibliografico. In merito mi pregio significare all'Eminenza Vostra -la quale valutera l'opportunità di informare il Reverendo Padre Losacco - che effettivamente l'Opera in parolo fu posta all'Indice il 16 Dicembre 1959 e definita da "L'Osserv tore Romano" del 6 Gennaio 1960, "Vita di Gesu malamente romanzata". Le disposizioni del Decreto vennero ripubblicato con'nota esplicativa ancora su L'Osservatore Romano del 1 Dicembre 1961, come rilevabile dalla documentazione qui allegata. Avendo poi alcuni ritenuto lecita la stampa e diffusione dell'Opera in oggetto, dopo l'avvenuta abrogazione del l'Indice, sempre su l'Osservatore Romano (15 Giugne 1966) si fece presente quanto pubblicato su A.A.S. (1966) che, benché abolito, l’"Index" conservava " tutta la sua valore morale" per cui non si ritiene opportuna la diffusionee raccomendazione di un'Opera la cui condamna non fu presa al ln leggera ma dopo ponderate motivazioni al fine di neutralizzare i danni che tale pubblicazione può arrecare ai fedeli più sprovveduti. Grato di ogni Sua cortese disposizione in proposito, profitto dell'occasione per confermarmi con sensi di profonda stima dell'Eminenza Vostra Reverendissima Dev.mo Joseph card. Ratzinger |
SACRÉE CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI
00193 Roma, 31 janvier 1985 Prot. N. 144/58 Éminence Révérendissime, Par lettre en date du 18 mai dernier, le Révérend Père Umberto Losacco, capucin (Via Montani, 1 – 16148 Gênes), sollicitait de cette Sainte Congrégation une clarification concernant les écrits de Maria Valtorta, recueillis sous le titre « Le Poème de l’Homme-Dieu », et s’il existait une évaluation du Magistère de l’Église sur cette publication, assortie de la référence bibliographique correspondante. À ce sujet, j’ai l’honneur de porter à la connaissance de Votre Éminence — qui jugera de l’opportunité d’informer le Révérend Père Losacco — que l’œuvre en question a effectivement été inscrite à l’Index le 16 décembre 1959 et qualifiée par « L’Osservatore Romano » du 6 janvier 1960 de « Vie de Jésus malencontreusement romanesque ». Les dispositions du décret furent republiées avec une note explicative dans « L’Osservatore Romano » du 1er décembre 1961, comme en témoignent les documents ci-joints. Certains ayant ensuite estimé licite l’impression et la diffusion de ladite œuvre après l’abrogation de l’Index, « L’Osservatore Romano » (15 juin 1966) rappela ce qui avait été publié dans les Acta Apostolicæ Sedis (1966) : bien qu’aboli, l’Index conservait « toute sa valeur morale ». Il n’est donc pas jugé opportun de diffuser ou de recommander une œuvre dont la condamnation, loin d’avoir été prise à la légère, fut décidée après mûre réflexion afin de neutraliser les préjudices que cette publication pourrait causer aux fidèles les plus vulnérables. Je saisis cette occasion pour remercier Votre Éminence de ses dispositions bienveillantes en la matière, et je me confirme, avec les sentiments d’une profonde estime, De Votre Éminence Révérendissime, Le très dévoué, Joseph Card. Ratzinger |
Valeur et fondement de cette lettre[modifier | modifier le wikicode]
Le cardinal Ratzinger ne fournit que trois documents officiels : le commentaire de la mise à l'Index (1960), l'extension à la nouvelle édition (1961) et le décret de suppression de l'Index (1966). Il y joint un avis personnel d'autorité qui peut se résumer ainsi : il déconseille la diffusion de l’œuvre de Maria Valtorta, car il craignait l’impact de cette vie de Jésus sur les lecteurs "les plus vulnérables", ce qui est une préoccupation pastorale mais non doctrinale[2]. Il ne livre pas de jugement sur l'œuvre autre qu'une crédibilité totale portée à ce que rapportait les deux articles de l'Osservatore romano dont le second, un entrefilet, (1 décembre 1961, p. 1) ne juge pas la doctrine ou les mœurs, mais la valeur scientifique de l'ouvrage: "la quale non ha alcun valore scientifico (qui n'a aucune valeur scientifique)" et étend la mise à l'Index pour les mêmes motifs disciplinaires (mais non doctrinaux[3]) : canon 1398 §2 et canon 1399 §5 du code de 1917. Pourtant le cardinal Josef Ratzinger s'appuiera (comme le font certains opposants) sur le passage de la Notification abolissant l'Index qui spécifie que l'"Index garde sa valeur morale". Mais le texte rajoute, (dans la partie omise): "en ce sens qu’il demande à la conscience des fidèles – comme l’exige le droit naturel lui-même – de se garder contre les écrits qui peuvent mettre en danger la foi et les bonnes mœurs". De l'imprimatur verbal de Pie XII à l'encouragement écrit du Pape François, en passant par la cohorte des saints, des théologiens et des exégètes, - tous lecteurs -, peut-on raisonnablement soutenir qu'ils n'auraient pas vu "la mise en danger la foi et les bonnes mœurs" si elle avait existé le moindrement ?
Le cardinal Josef Ratzinger ne trouvera rien en ce sens quand il découvrira personnellement l'œuvre de Maria Valtorta. On peut donc en déduire qu'il n'a fondé son avis pastoral qu'au vu du contenu du dossier qu'il a trouvé. En effet le dossier ouvert en 1945 par le Saint-Office (Prot n. 355/45) n'apparaît plus à cette époque. Il a été remplacé, en 1958 par un nouveau (Prot. n. 144/58) qui ne comporte plus, semble-t-il, que les pièces univoques servant la mise à l'Index[4].
Attribution erronée d'une lettre de 1988[modifier | modifier le wikicode]
On a attribué au cardinal Josef Ratzinger (et donc à son autorité) le contenu d'une réponse de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) à une fidèle canadienne[5]. Cette lettre, dont on n'a aucune trace, datée du 9 septembre 1988, rédigée par Josef Clemens, le secrétaire personnel du cardinal présentait l'ouvrage de Maria Valtorta sous un angle très critique. La lettre disait en effet (selon la citation qui en est faite):"Il est vrai que le Poème de l’Homme-Dieu de Maria Valtorta a été mis à l’Index en 1959 et a été décrit par L’Osservatore Romano (6 janv. 1960) comme une version complètement romancée de la vie de Jésus[6]. L’Index a, depuis, été supprimé, mais les raisons pour la censure originale sont toujours valides ; cet ouvrage est un ensemble de fantaisies enfantines, d’erreurs historiques et exégétiques, le tout mis dans une veine subtilement sensuelle[7]."La citation attribuée au cardinal Ratzinger par Yves Chiron[5] n'est ni de lui, ni de l'Osservatore romano[8], mais probablement[9] du Père Giovanni Caprile dans Civiltà cattolica en date du 1er juillet 1961 (cahier 2665) qui écrivait à propos de la seconde édition :
"(Cette œuvre est) un monument de la puérilité, des fantasmes et des faussetés historiques et exégétiques, diluées dans une atmosphère subtilement sensuelle, dues à la présence d’un essaim de femmes à la suite de Jésus. Un monument, bref, de pseudo religiosité."Il y a donc un double glissement:
- présenter comme un acte magistériel, ce qui n'est qu'une opinion d'expert (l'opinion favorable inverse serait-elle recevable de la même façon ?)
- créer un amalgame entre les actes officiels du Saint Siège (AAS) et des prises de positions sans arguments documentés.
"Cette erreur fut introduite par le père franciscain Benedict Joseph Groeschel (23 juillet 1933-3 octobre 2014) à la page 58 de son livre A Still Small Voice: A Practical Guide on Reported Revelations (Ignatius Press, 1993), avant d’être propagée par Marco Corvaglia en Italie, dans la première édition de son livre Medjugorie, È tutto falso (Anteprima Edizioni, 2007, 283 pages), et par Yves Chiron en France, dans sa lettre d’informations religieuses Aletheïa n°260 du 17 juillet 2017. Marco Corvaglia eut l’honnêteté de corriger cette erreur dans la réédition de son livre et sur son site Internet. Elle fut ensuite reprise par l’agence de presse I.MEDIA (composée de cinq personnes couvrant l’actualité vaticane), dans sa dépêche du 4 mars 2025, qui fut à son tour dupliquée par de nombreux journaux chrétiens francophones sans vérification (Aleteia, Famille Chrétienne, La Croix, RCF, Cathobel, Cathberne, etc.). Ces articles furent rédigés en quelques heures par des personnes ne connaissant ni l’histoire de Maria Valtorta, ni ses textes."
Années 90: découverte de l'œuvre et imprimatur conditionnel[modifier | modifier le wikicode]
Le 30 juin 1992, l'éditeur de Maria Valtorta, Emilio Pisani, eut l’occasion de se rendre au Palais du Saint-Office où un prélat de la Secrétairerie d’État lui a signalé que "Là-haut" on avait changé d’avis sur Maria Valtorta et que sa vie de Jésus pouvait être considérée "comme un bon livre". Le fait était aussi inattendu qu'énigmatique: quel fait motivait ce renversement et que devait-on entendre par un "bon livre" ? Voilà ce qu'en rapporte l'éditeur[10]:"Le 30 juin 1992 — c’est‑à‑dire la même année que la lettre du secrétaire de la CEI — j’eus l’occasion, la seule de ma vie, d’entrer dans le Palais du Saint‑Office. J’accompagnais un religieux de la Société Saint‑Paul, qui était supérieur provincial au Canada. Ces Pères diffusaient là‑bas les éditions en anglais et en français de l’Œuvre de Maria Valtorta.Il fallait donc identifier ce qui avait motivé ce changement d'attitude officielle de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui avait été communiquée par la Conférence des évêques d'Italie, et dans quel périmètre elle inscrivait désormais l'œuvre de Maria Valtorta. Celle-ci bénéficiait d'une situation floue depuis l'abolition de la mise à l'Index.Arrivé à Rome, ce religieux avait pris rendez‑vous avec l’un de ses confrères, qui faisait partie du secrétariat de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Celui‑ci nous reçut tous les deux et, puisque nous parlions de sujets valtortiens, il se laissa aller à faire une confidence.
Il dit avoir lui‑même suggéré à Mgr Tettamanzi d’écrire la lettre au CEV à la suite d’une “nouvelle position” de la Congrégation vis‑à‑vis de l’Œuvre de Maria Valtorta. Ces paroles textuelles furent que “en Haut” il avait été décidé qu’on pouvait la lire “comme un bon livre”, comme d’autres tels que Quo vadis et Ben Hur."
La correspondance avec "L'Homme nouveau"[modifier | modifier le wikicode]
L'interrogation demeurait d'autant plus que Mgr Roman Danylak, en poste à Rome, affirmait dans sa lettre d'"imprimatur" du 13 février 2002, que le cardinal Ratzinger "en lettres privées, a reconnu que cet ouvrage est exempt d'erreurs de doctrine ou de morale", ce qui équivalait à un "Nihil obstat" de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, héritière du Saint-Office.
Ce n'est qu'au tournant des années 2010, qu'on pu localiser la cause probable. Elle datait de vingt ans auparavant, à la date de l'épisode rapportée par Emilio Pisani.
Au tout début des années 1990, le cardinal Josef Ratzinger put mieux connaître Maria Valtorta par l’un des périodiques qu’il lisait volontiers : l’Homme Nouveau, dirigé alors par Marcel Clément. L’abbé André Richard y publiait régulièrement des articles sur la mystique italienne. Marcel Clément reçut un jour une lettre du cardinal Ratzinger : il voulait vérifier quelques points sur la théologie du mariage qui lui semblait jansénistes dans Maria Valtorta. Marcel Clément réunit alors la rédaction pour demander de suspendre, dans l’attente de l’examen, tous les articles sur Maria Valtorta, ainsi que la vente qui se faisait dans sa boutique. Un an après, le Préfet remerciait l’Homme Nouveau pour son obéissance et déclarait que, vérifications faites, rien ne s’opposait à la poursuite des publications et de la diffusion.
Cette correspondance se trouve actuellement (2025) dans les archives de Marcel Clément (les autres exemplaires se trouvent dans celles de la Congrégation), mais deux collaboratrices directes ont témoigné de l’exactitude des faits[11].
La lettre du 6 mai 1992 et son explication dans celle du 17 avril 1993[modifier | modifier le wikicode]
Selon ce que rapportait un membre du secrétariat de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) à Emilio Pisani, c'est lui qui aurait suggéré à la Conférence des évêques d'Italie (CEI), d'écrire la lettre du 6 mai 1992 demandant à l'éditeur "dans l’optique d’un authentique service à la foi de l'Église", d'avertir les lecteurs de Maria Valtorta de la considérer comme une œuvre littéraire. Mais dans une lettre du cardinal Josef Ratzinger, en date du 17 avril 1993, à Mgr Raymond J. Boland, évêque de Birmingham en Alabama, on apprend que la lettre de la CEI était de son initiative et qu'elle reflétait sa position au regard des écrits de Maria Valtorta. Le secrétaire avait donc du en référer à sa hiérarchie, ce qui semble normal.
Texte de la lettre de Mgr Raymond J. Boland[modifier | modifier le wikicode]
| Texte original | Traduction français indicative |
|---|---|
| Mr. Terry Colafrancesco
Caritas of Birmingham P.O. Box 120 4647 Highway 280 East Birmingham, AL 35242 Dear Mr. Colafrancesco: His Eminence, Joseph Cardinal Ratzinger, in a letter which I received from the Congregation of the Doctrine of the Faith this week, has asked me to inform you about the position of the Church regarding the writings of Maria Valtorta called The Poem of the Man-God. The Cardinal wants you to know that the Congregation in the past has issued certain "Notes" on this subject for the guidance of the faithful and these were published in L'Osservatore Romano. In the light of the recent recurrance [sic] of interest in the work, the Congregation has come to the conclusion that a further clarification to the "Notes" previously issued is now in order. Thus it has directed a particular request to the Italian Bishops' Conference to contact the publishing house which is concerned with the distribution of the writings in Italy in order to see to it that in any future reissue of the work "it might be clearly indicated from the very first page that the 'visions' and 'dictations' referred to in it are simply the literary forms used by the author to narrate in her own way the life of Jesus. They cannot be considered supernatural in origin." The implications of this most recent decision of the Holy See (Prot.N. 144/58 i, dated April 17, 1993) are obvious insofar as those who use, publish or sell the writings in question should know and clearly express the judgment of the Holy See as indcated in the underlined section of my previous paragraph. Hoping that this letter will serve as an authoritative response to the question which you addressed to His Eminence Cardinal Ratzinger in your letter of July 21, 1992, I am, Sincerly in Christ, (Signed) Most Rev. Raymond J. Boland, D.D. Bishop of Birmingham in Alabama |
Monsieur Terry Colafrancesco Caritas de Birmingham - B.P. 120 - 4647 Highway 280 - East Birmingham, AL 35242
Cher Monsieur Colafrancesco, Son Éminence, le Cardinal Joseph Ratzinger, dans une lettre que j’ai reçue cette semaine de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, m’a chargé de vous informer de la position de l’Église concernant les écrits de Maria Valtorta intitulés Le Poème de l’Homme-Dieu. Le Cardinal tient à ce que vous sachiez que la Congrégation a publié par le passé certaines « Notes » sur ce sujet, à l’intention des fidèles, et que celles-ci ont été diffusées dans L’Osservatore Romano. Au vu du regain d’intérêt récent pour cet ouvrage, la Congrégation a estimé nécessaire d’apporter une clarification supplémentaire aux « Notes » précédemment émises. Elle a donc adressé une demande particulière à la Conférence épiscopale italienne afin qu’elle contacte la maison d’édition responsable de la diffusion de ces écrits en Italie. L’objectif est de veiller à ce que, dans toute réédition future de l’œuvre, il soit clairement indiqué, dès la première page, que les « visions » et « dictées » mentionnées ne sont que des formes littéraires utilisées par l’auteure pour raconter à sa manière la vie de Jésus. Elles ne sauraient être considérées comme d’origine surnaturelle. Les implications de cette décision récente du Saint-Siège (Prot. N. 144/58 i, en date du 17 avril 1993) sont évidentes : ceux qui utilisent, publient ou diffusent les écrits en question doivent connaître et exprimer clairement le jugement du Saint-Siège, tel qu’énoncé dans la section soulignée du paragraphe précédent. En espérant que cette lettre servira de réponse officielle à la question que vous aviez adressée à Son Éminence le Cardinal Ratzinger dans votre courrier du 21 juillet 1992, je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de ma considération distinguée dans le Christ. Signé : Mgr Raymond J. Boland, D.D. Évêque de Birmingham en Alabama (Cette lettre de Mgr Boland est reproduite avec l’aimable autorisation de Caritas de Birmingham.) |
Cette lettre reproduisant un courrier du cardinal Josef Ratzinger, légitime le courrier de la CEI en date du 6 mai 1992 comme exprimant "la position de l'Église". Cette position a été reprise 33 ans après par le Dicastère dans son communiqué du 22 février 2025. La position de l'Église en est donc restée à ce statu quo qu'il faut analyser de manière comparative et à la lumière des textes régissant les révélations privées.
- L'Église n'interdit pas la diffusion de cette œuvre ni sa lecture. En cela elle rompt avec la mise à l'Index et ses tenants qui ostracisent l'œuvre et ses lecteurs.
- L'Église ne demande pas de modifications et ne dénonce pas une œuvre nocive. Elle ne pose comme limite que la façon de la considérer.
L'Église n'écrit pas "ne sont pas d'origine surnaturelle" mais "ne sauraient être considérées comme". Pourquoi cette fine sémantique répétée dans les trois formulations (1992, 1993, 2025) ?
À ce titre, le communiqué du Dicastère (qui ne parle plus de la mise à l'Index) livre un éclairage important que n'apportait pas les autres documents (1992 et 1993): "Dans sa longue tradition, l’Église n’accepte pas les Évangiles apocryphes et autres textes similaires comme normatifs, car elle ne reconnaît pas leur inspiration divine, se référant à la lecture fiable des Évangiles inspirés." Ce que dit l’Église n'a donc pas été créé spécialement, mais appliqué tout simplement au cas Maria Valtorta,
L'Église ne reconnaît effectivement comme normatifs et fiables que les écrits figurant dans le canon des Écritures[12]. Les livres apocryphes ne sont pas reconnus comme d’inspiration divine et ne peuvent donc servir de norme de foi ou de morale, même s’ils peuvent contenir des éléments historiques ou spirituels intéressants[13]. De "longue tradition", ils sont considérés comme de simples formes littéraires employées par leurs auteurs pour raconter la vie du Christ à leur façon, sans que l’Église leur attribue un caractère normatif. Autrement dit, si l'Église reconnaissait officiellement l'origine divine de l'œuvre de Maria Valtorta, elle en ferait un livre canonique ayant autorité universelle. Au regard de son contenu (visions de la vie et des enseignements de Jésus) elle quitterait le domaine des révélations privées pour intégrer la Révélation publique ce qu'exclut formellement l'Église comme Jésus le fait dans Maria Valtorta[14].
Cette ligne rouge, infranchissable, empêche-t-elle l'œuvre de Maria Valtorta d'avoir, dans l'Église, une place à la hauteur de sa popularité et des bénéfices que procurent sa lecture ?
Quelle place dans l'Église ?[modifier | modifier le wikicode]
Les contours de cette place dans l'Église, ont commencé à être dessinés par le Pape François. Dans sa lettre d'encouragement à la Fondation Maria Valtorta de Viareggio (24 février 2024), ainsi que dans ses écrits connexes qui l'explicitent[15], le Souverain Pontife attribue à ces récits le pouvoir de provoquer la rencontre avec Jésus vivant. Une condition nécessaire à la foi écrit-il dans un autre document[16] et il attribue cette rencontre à l'Esprit Saint.
Le Pape François ne lui accorde donc pas un statut alternatif à l’Évangile canonique, mais un statut complémentaire majeur : faciliter la rencontre avec le Christ vivant, condition de la foi fondatrice du christianisme. En ce faisant, il centre l'oeuvre de Maria Valtorta sur le même critère que celui d’authenticité des révélations privées, rappelées par Benoît XVI : amener au Christ et à la Révélation publique[17].
Cette ligne pastorale est reprise, à sa façon, par Mgr Paolo Giulietti (évêque référent pour la cause de Maria Valtorta): l'œuvre de Maria Valtorta ne peut pas être confondue avec la Révélation publique (la Bible en résumé) mais ces écrits sont donnés à l'Église pour son édification. Le Bienheureux Gabriel Allegra l'écrivait déjà en son temps.
L'œuvre de Maria Valtorta ne se substitue pas à l'Évangile canonique: Elle y conduit.
En tant que Souverain Pontife[modifier | modifier le wikicode]
Législateur des révélations privées[modifier | modifier le wikicode]
Benoît XVI Ratzinger est, avec son presque homonyme, Benoît XIV Lambertini, un pape législateur des révélations privées. Les deux précisèrent la doctrine de l'Eglise en un domaine qui était objet de polémiques à leur époque respective.
- Pour Benoît XIV Lambertini, il s'agissait notamment des visions de Marie d'Agreda qui se cristallisait autour de l'Immaculée conception qu'elle annonçait mais qui était contestée. Le cardinal Prospero Lambertini codifia les révélations privées, et son ouvrage, De Servorum Dei Beatificatione et Beatorum Canonizatione (De la béatification et la canonisation des saints). fait toujours référence.
- Pour Benoît XVI Ratzinger il s'agit plutôt d'une incompréhension généralisée qui trouve une illustration dans les conclusions du synode sur La Parole de Dieu dans la vie et le mission de l'Église (2008). La résolution 47 traitait les révélations privées en une seule phrase très générale : elles ne sont pas la Révélation publique. Ce qu'elles sont, le synode ne le disait pas, il noyait cette affirmation générale dans un chapitre entièrement consacré aux sectes. C'est sans doute pourquoi Benoît XVI crut bon de développer ce point dans son motu proprio Verbum Domini, § 14. Il reprenait à cette occasion, - notamment dans la deuxième partie de ce paragraphe, - toute sa réflexion théologique sur ce sujet construite à partir de 1992.
"Le Cardinal Prospero Lambertini, futur Pape Benoît XIV, dit à ce sujet dans son traité classique, devenu ensuite normatif pour les béatifications et les canonisations: "Un assentiment de foi catholique n'est pas dû à des révélations approuvées de cette manière; ce n'est même pas possible. Ces révélations requièrent plutôt un assentiment de foi humaine conforme aux règles de la prudence, qui nous les présentent comme probables et crédibles dans un esprit de piété".
Pie X, en 1907, rappelait déjà cette "longue tradition" de lecture prudentielle, même pour les révélations privées reconnues: "Ces apparitions ou révélations n'ont été ni approuvées ni condamnées par le Saint-Siège, qui a simplement permis qu'on les crût de loi purement humaine, sur les traditions qui les relatent, corroborées par des témoignages et des monuments dignes de foi[18]."
Maître du sujet, Benoît XVI a pu qualifier les révélations de Ste Brigitte, copatronne de l'Europe, de "révélations divines" tout en les contextualisant dans le cadre des apports et de la place des révélations privées (Audience générale du mercredi 27 octobre 2010). La lecture prudentielle n'empêche donc pas, quand cela se justifie par ses fruits spirituels, de relier une révélation privée à la sollicitude du Ciel. En 1948 Pie XII, en d’autres termes, avait dit de même.
Les béatifications[modifier | modifier le wikicode]
Tout cela explique l’attitude qu’eut le cardinal Ratzinger une fois devenu pape :
- Les cérémonies du cinquantième anniversaire de la mort de Maria Valtorta (15 octobre 2011) se sont déroulées sous la présidence de Mgr Pier Giacomo De Nicolò, ancien nonce apostolique. La commémoration a eu lieu à la Santissima Annunziata de Florence où Maria Valtorta est enterrée, un haut lieu des Servites de Marie.
- Dans la dernière année de son pontificat, il béatifie coup sur coup, deux défenseurs affichés de Maria Valtorta : Mère Maria Inès du Très Saint-Sacrement (1904 –1981), fondatrice des Missionnaires clarisses du Très saint Sacrement. Elle avait demandé qu'un exemplaire de l'Évangile tel qu'il m'a été révélé figure dans chacune des maisons qu'elle avait fondé, puis le 29 septembre 2012, le Père Gabriele Allegra, bibliste traducteur de la Bible en chinois, ouvertement favorable à Maria Valtorta dont il confirmait l’inspiration divine.
Il entreprit enfin la béatification de Mgr Luigi Novarese que le Pape François a achevée. Ce prélat connaissait Maria Valtorta qu’il rencontra et sa vie de Jésus qu’il appréciait pour en avoir entendu parler à la Secrétairerie d’État de Pie XII, par son ami, Mgr Carinci. On imagine mal que tout cela ce serait appliqué à une œuvre nocive ou futile, condamnée irrémédiablement selon certains.
Dans ces béatifications, le préfet de la Congrégation pour les causes des saints a un rôle préparatoire et consultatif, mais c’est le pape qui décide souverainement. Son autorité est pleinement engagée, tant sur le plan spirituel que juridique. Sans sa signature, rien n’est officiel.
Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Un peritus est un spécialiste reconnu qui, au nom de l’Église, offre son avis éclairé pour aider à prendre des décisions doctrinales ou juridiques.
- ↑ Un avis doctrinal fixe ce que l’Église considère comme vérité de foi, exigeant une adhésion définitive. Un avis pastoral propose des lignes directrices pour appliquer cette foi aux réalités quotidiennes, avec un ton plus souple et une ouverture au discernement personnel.
- ↑ Les motifs doctrinaux garantissent que la foi reste fidèle à la Révélation. Les motifs disciplinaires assurent que la vie de l’Église reste ordonnée.
- ↑ Peut-être faut-il y voir là l'explication du flou très inhabituel dans la datation de l'admonestation du Saint-Office que transcrit l'Osservatore romano du 6 janvier 1960. Au lieu de donner une date précise, voire à une référence, il emploie une périphrase qui en appelle aux "souvenirs": "Ces mots évoquent des souvenirs d’il y a environ une dizaine d’années, alors que circulaient certains textes dactylographiés volumineux, qui contenaient de prétendues visions et révélations. On sait qu’alors l’autorité ecclésiastique compétente avait défendu l’impression de ces textes dactylographiés et avait ordonné qu’ils soient retirés de la circulation" Cette pièce aurait donc disparue du nouveau dossier qui conserve pourtant, à ce que l'on peut déduire, les rapports critiques d'Alberto Vaccari ou le dernier du cardinal Bea.
- ↑ 5,0 et 5,1 Yves Chiron, "Le lobby valtortiste", Aletheia, n° 260 1, 17 juillet 2017
- ↑ La version originale ne parle pas d'une vie de Jésus "complètement" romancée, ce qui est une interprétation radicale excessive. Elle ne parle que d'une vie "mal" ou "malencontreusement" romancée.
- ↑ Mgr Josef Clemens commet là une deuxième interprétation: l'œuvre de Maria Valtorta a été canoniquement mise à l'Index pour défaut d'imprimatur.
- ↑ Cette citation amplifie à charge le contenu de l'article qui évoquait plus qu'il ne démontrait.
- ↑ Contrairement à l'usage de la revue, l'article est anonyme.
- ↑ Dossier Maria Valtorta - Éléments de discernement, CEV 2024, p. 176.
- ↑ Voir le témoignage de Geneviève Esquier en toute fin d’article. Journaliste aujourd’hui à Marie de Nazareth, elle était à l’époque à l’Homme Nouveau et fut témoin oculaire des faits rapportés. La secrétaire particulière de Marcel Clément a aussi confirmé verbalement l'exactitude des faits (conversation téléphonique avec François-Michel Debroise).
- ↑ 73 livres dans la Bible catholique, comportant les 46 livres de l’Ancien Testament et les 27 du Nouveau. La Bible catholique inclut 7 livres de plus que les Bibles protestantes. Cette différence provient des traditions suivies.
- ↑ C'est le cas du Protévangile de Jacques, un écrit apocryphe célèbre de la seconde moitié du II° siècle. Il rapporte notamment l'enfance de Marie et la Nativité de Jésus. Les éléments les plus "fiables" (mais non les seuls) aux yeux de la tradition catholique sont les noms d’Anne et Joachim, ainsi que la consécration de Marie au Temple, car ils ont été repris par la liturgie et la dévotion, même sans validation historique formelle.
- ↑ Dans une dictée du 28 janvier 1947, Jésus précise la nature de l’œuvre confiée à Maria Valtorta: "L’ouvrage livré aux hommes par l’intermédiaire du petit Jean [=Maria Valtorta] n’est pas un livre canonique. Néanmoins, c’est un livre inspiré que je vous accorde pour vous aider à comprendre certains passages des livres canoniques [...]" ( Les Cahiers de 1945 à 1950, CEV, p. 330). Ce passage établit sans ambiguïté que L’Évangile tel qu’il m’a été révélé ne se présente pas comme un nouvel évangile, mais comme une œuvre inspirée, destinée à éclairer la Révélation déjà donnée et à favoriser une connaissance vivante du Christ.
- ↑ Par exemple, la lettre du pape François sur le rôle de la littérature dans la formation, § 14.
- ↑ Dans sa Préfaces du livre d'Andrea Tornielli, La vie de de Jésus, (2023), le Pape François écrit en introduction: "Je le répète : il n'y a pas de foi sans rencontre, car la foi est une rencontre personnelle avec Jésus. […] Cet ouvrage, cette Vie de Jésus, rédigée en s'appuyant sur les textes des évangiles, peut nous aider à entrer en contact avec Lui, afin qu'il ne reste pas simplement un grand personnage, un protagoniste de l'histoire, un leader religieux ou un maître de morale, mais devienne chaque jour pour chacun d'entre nous le Seigneur. Le Seigneur de la vie. Je souhaite à ceux qui le liront de voir Jésus, de rencontrer Jésus et que leur soit donnée la grâce - qui est un don de l'Esprit Saint - d'être attirés par Lui."
- ↑ BENOÎT XVI - Verbum Domini, § 14
- ↑ PIE X, Pascendi Dominici gregis, 8 septembre 1907, §75.