Saint-Office, deuxième avis du Père Augustin Bea, (17/10/1952)

    De Wiki Maria Valtorta
    Second rapport du Père Augustin Bea, 17 octobre 1952

    Cet avis du Père Augustin Bea sj, est remis à la demande expresse du Saint-Office dans la suite de la pétition au Saint-Père qu'avait déposée, quelques mois auparavant, Mgr Alfonso Carinci et huit autres "personnalités illustres " dont le Père Bea lui-même. Cet avis se présente comme un "voto (vote)" alors que celui du Père Alberto Vaccari sj, se présentait comme un "parere (opinion)". Si ce dernier exprime l'opinion d'un expert, celui du Père Augustin Bea a un aspect plus formel en vue d'une décision officielle (in decisis) qu'il exprime en conclusion (p. 77) :

    1. "on ne peut pas publier l’œuvre telle quelle à cause des difficultés[1] théologiques et exégétiques qui ont été exposées."
    2. Corriger ces difficultés reviendrait à écrire une nouvelle œuvre.
    3. On pourrait publier les meilleurs morceaux "mais cette concession serait inopportune étant donnée la ferveur intempestive et imprudente de ceux qui sont pour cette œuvre".
    4. "Aux Révérends Pères Servites qui jusqu’ici se sont intéressés à l’œuvre[2], on devrait donner un grave avertissement avec interdiction d’être en faveur de l’œuvre, aussi bien publiquement qu’en privé".

    Le Père Bea avait été frappé par les connaissances exégétiques dont Maria Valtorta faisait preuve. Il n'en faisait pas une œuvre inspirée, mais un bon livre de vulgarisation dont il recommandait la publication sans tous les descriptifs qu'il contenait[3]. Dans cette nouvelle étude, pris de trop de doutes, il tranche pour le délaissement intégral de l'œuvre.

    Éléments de contexte[modifier | modifier le wikicode]

    Ce document, par sa nature, son contenu, son destinataire et ses conclusions, prouve que la décision n'avait pas été prise auparavant. Ce qui invalide de ce fait:

    • La thèse selon laquelle la décision d'interdire aurait été prise antérieurement, le 17 février 1949 avec l'adhésion du Saint-Père.
    • La légitimité de l'entretien de Mgr Giovanni Pepe du 22 février 1949 demandant au Père Berti de ne pas publier l'œuvre en plus que de remettre les manuscrits.

    Cela explique aussi que l'article de l'Osservatore romano de 1960 commentant à la mise à l'Index se réfère imprécisément et de façon inaccoutumée à "des souvenirs d’il y a environ une dizaine d’années"[4]. C'est donc à tort que l'on traduit ce flou par "1949" puisqu'en 1952 l'œuvre est toujours en examen. Cela confirme que la décision du Saint-Office de 1959 ne se référait qu'à son propre avis non validé par le Saint-Père à l'époque, comme de droit[5].

    Traduction française[modifier | modifier le wikicode]

    La traduction française a été faite par Alexis Maillard dans son livre accessible en ligne : Maria Valtorta Le Dossier du Vatican. Nous reproduisons ici les extraits que nous commentons dans différents articles du wiki Maria Valtorta. Les renvois de pages s'y réfèrent.

    Sur la structure générale de l'œuvre de Maria Valtorta[modifier | modifier le wikicode]

    Si l'avis du Père Bea s'avère négatif en fin de compte, il s'éloigne des opinions en cours au Saint-Office: dans le jugement ci-dessous, il prophétise ce que deviendra l'œuvre de Maria Valtorta[6] dans le cadre des critères d'authenticité d'une révélation privée que, plus d'une demi-siècle plus tard, Benoît XVI codifiera[7]. Les passages significatifs sont en italique.
    (p. 67) "L’œuvre de Valtorta manifeste une profonde religiosité et un véritable amour du Christ, de la Vierge Marie et de l’Église. Il y a des pages très édifiantes et très émouvantes que l’on peut trouver rarement dans des écrits modernes de la vie de Jésus et d’autres livres de méditation. Cette qualité religieuse, jointe à une grande capacité de proposer des arguments de manière littéraire pleine de vivacité, intéressante et même quelquefois fascinante, explique la grande impression que l’œuvre a faite spécialement sur les laïcs de grande religiosité et le désir de la voir publiée, qui est un désir exprimé par beaucoup et toujours renouvelé."
    Mais s'il s'oppose en définitive à la publication de l'œuvre, c'est en raison de "certaines difficultés assez graves" qu'il pense avoir identifier. La "plus grande objection" est, selon lui, le fait que "Notre Seigneur est abaissé et immergé dans des faits de la vie quotidienne des hommes et d’une manière inadmissible. (p. 68) " Il dénonce donc deux choses : Un Christ vivant une vie humaine quotidienne et la façon dont elle est décrite.

    Un Christ qu'il juge trop humain[modifier | modifier le wikicode]

    Le Père Augustin Bea reconnaît que "Notre Seigneur a éprouvé toutes nos infirmités hormis le péché" (Hébreux 4,15), mais il questionne la pertinence de mettre en avant cette humanité, craignant de diminuer la révérence due à l'homme-Dieu. Son objection principale n'est donc pas doctrinale, mais porte sur l'opportunité de cette démarche.

    L'humanité de Jésus ne fait pas obstacle à sa divinité ; elle en est la révélation. C'est dans cette humanité que la Rédemption s'est accomplie. Sans Rédemption, il n'y a pas de Rédempteur. Jésus possède une humanité sainte, modèle pour les croyants, et complète hormis le péché : "Ayez en vous les mêmes sentiments que le Christ Jésus : bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui.[8]" L'humanité de Jésus n'est pas une simple apparence, mais une réalité pleine et entière, avec toutes ses propriétés, à l'exception du péché.

    En évoquant la révérence due à l'homme-Dieu, le Père Augustin Bea évoque un contexte culturel mais non théologique. Dans une œuvre comme celle de Maria Valtorta, la véritable révérence due à l'homme-Dieu est au contraire magnifiée dans l'amour du Verbe incarné. Il le reconnaît implicitement quand il dit : "L’œuvre de Valtorta manifeste une profonde religiosité et un véritable amour du Christ, de la Vierge Marie et de l’Église."

    Contextes culturels

    En déplaçant dans un contexte culturel ce qui est l'enseignement de l'Église (complétude de l'humanité de Jésus, hors le péché) il biaise le regard sur une révélation privée qui rapporte la vie du Christ il y a 2.000 ans. Il n'est pas le seul à le faire pour ce qu'il juge être une bonne raison. Par exemple, Mgr Marcel Lefebvre a exprimé, de la même façon, ses réserves sur la représentation de Jésus par Maria Valtorta lors d'une retraite en septembre 1986[9].

    L'un et l'autre sont issus du contexte culturel du XIXème siècle où l'Église développait ses magnificences culturelles que combattait le modernisme. Une déviance que combat aussi Maria Valtorta mais par l'exposé d'une authenticité historique[10]. En 2024, le Pape François a souligné l'importance de rencontrer un Christ vivant : un "Jésus-Christ fait chair, fait homme, fait histoire." Il recommande de ne jamais perdre de vue "la 'chair' de Jésus-Christ, cette chair faite de passions, d'émotions, de sentiments, d'histoires concrètes, de mains qui touchent et guérissent, de regards qui libèrent et encouragent, d'hospitalité, de pardon, d'indignation, de courage, d'intrépidité : en un mot, d'amour[11]." C'est cette réalité historique que présente l'œuvre de Maria Valtorta que le Pape François encourage[12]. Elle ne conduit pas à l'irrévérence, mais à l'amour de l'Homme-Dieu, selon le titre sous lequel elle parut.

    Sur les données matérielles de l'œuvre[modifier | modifier le wikicode]

    Déjà dans son attestation du 23 janvier 1952, le Père Augustin Bea n'attribuait pas l'œuvre de Maria Valtorta à une origine divine, mais il était été "fort impressionné par l’exactitude remarquable" des descriptions de Maria Valtorta. Cet étonnement demeure dans son second avis :
    (p. 72) "Ici on présente un phénomène qui laisse très perplexe. En examinant les divers volumes, on doit constater que les indications géographiques et topographiques, généralement parlant sont exactes. Et il ne s’agit pas seulement de peu de noms, mais de centaines de villes, de villages, de rivières, de vallées, de montagnes. Il y aura probablement peu de spécialistes, parmi les prêtres et les théologiens, qui sur ce point pourraient confirmer l’écrivain." 
    Il livre son regard critique, mais sans pouvoir comprendre l'origine de cette abondance de connaissances remarquables:
    (p. 74) "Reste pour moi cependant le problème, pour moi, insoluble, de la source d’où l’écrivain a cette abondance de connaissances géographiques, topographiques, historiques, archéologiques, dont est tellement riche cette œuvre étrange, d’où tient-elle tout cela."
    La réponse était devant lui : le tenait-t-elle d'une culture personnelle ? Non, il a eu l'honnêteté d'étudier la vie de Maria Valtorta et il sait que c'est exclu. S'agissait-t-il d'un prodige satanique ? Satan ne peut pas inspiré une œuvre qui "manifeste une profonde religiosité et un véritable amour du Christ, de la Vierge Marie et de l’Église" comme il le notait lui-même.

    Valeur des données matérielles[modifier | modifier le wikicode]

    Ces données matérielles ("géographiques, topographiques, historiques, archéologiques"), comme celles sur les personnages (pp. 71-72), sont constitutives des visions historiques : elles les authentifient. Le Père Alberto Vaccari qu'il cite, le déniait. Le Père Augustin Bea, le reconnaît. En ce domaine, depuis son rapport, les nouvelles technologies comme la reprise des fouilles après la guerre, ont bouleversé le paysage, justifiant un grand nombre des descriptifs de Maria Valtorta[13]. En 1970, dix-huit après le rapport du Père Augustin Bea, le Bienheureux Gabriel Allegra notait déjà la masse de travail qu'il avait fallu pour que des érudits établissent une carte incertaine alors que "quatre fois sur cinq au moins, les études récentes donnent raison aux identifications supposées dans l’Œuvre de Maria Valtorta, et je pense que ce nombre grandirait si des spécialistes voulaient étudier la question à fond[14]."

    En 1986, le P. François Dreyfus (1918-1999) de l'Institut biblique de Jérusalem, avouait à l'éditeur avoir été impressionné "de trouver dans l’œuvre de Maria Valtorta le nom d’au moins six ou sept villes qui n’apparaissent ni dans l’Ancien ni dans le nouveau Testaments. Ces noms ne sont connus que par quelques rares spécialistes et grâce à des sources non bibliques".

    Sur les aspects doctrinaux de l'œuvre[modifier | modifier le wikicode]

    Dans ce domaine, qui ne l'avait pas frappé dans sa première attestation, il se montre influencé par le rapport de son confrère Alberto Vaccari. Il y trouve des objections de forme (p. 70) et des objections de fond (p. 75). Dans la première catégorie il retient la proclamation de sa messianité par le Jésus de Maria Valtorta contrairement à ce qu'il comprend de l'Évangile: Jésus interdisait qu'on le proclame publiquement.

    Il a été répondu à cela que c'est Dieu le Père Lui-même qui le proclame publiquement, dès le Baptême de Jésus, que c'est parce qu'il se proclamait "Fils de Dieu" qu'il a été tué. Il se réserve l'exclusivité de cette annonce tant que la Rédemption n'est pas accomplie.

    Le P. Augustin Bea pointe aussi le recours du Jésus de Maria Valtorta au vocabulaire théologique contemporain. Ceci a été justifié par ailleurs. Cette pédagogie s'avère particulièrement pertinente envers un public spécialiste "sceptique". Ainsi le Père Augustin Bea classe parmi "Les erreurs et inexactitudes doctrinales", l'expression "Dieu engendre seulement un autre Lui-même[15]". Il s'interroge : "(donc un autre Dieu ?)". Il n'identifie pas qu'il s'agit d'une affirmation déjà présente dans les Psaumes[16] et qui sera reprise dans le Symbole de Nicée (Credo): "...il est Dieu, de Dieu, [...] vrai Dieu, du vrai Dieu. Engendré, non pas créé, consubstantiel au Père*. L'appel aux vocabulaire théologique contemporain s'avère donc opportun autant pour des publics spécialiste ou non.

    Avec honnêteté, le Père Augustin Bea note que "finalement" les erreurs et les inexactitudes doctrinales sont moins fréquentes "qu'on le suppose". Il relève cependant, à la suite d'Alberto Vaccari (p. 75), le parallèle que fait Jésus entre son Incarnation et l'incarnation de Satan en Judas[17]. L'objection, reprise dans une étude récente de don Chevallier, a fait l'objet d'une réponse par Marie de Nazareth[18]. L’incarnation de Satan dans un homme demeure celle d’une créature (angélique, pur esprit) dans une créature (humaine). Celle-ci est bien différente de l’incarnation du Verbe.

    Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

    1. Les difficultés et non les erreurs.
    2. Les PP. Migliorini, Berti, Cecchin, Roschini.
    3. Attestation du 23 janvier 1952.
    4. Des souvenirs et non des décrets. Aucune date précise : un comportement très inhabituel.
    5. Dans la Sacrée Congrégation du Saint-Office, le Pape détenait l'autorité finale sur toutes les décisions doctrinales et disciplinaires. Bien que le Saint-Office traitât des affaires de la foi et de la morale, toutes ses actions et décrets étaient soumis à l'approbation papale. Le Pape était le garant de l'orthodoxie et de l'unité de la foi. La proposition de censure des œuvres de Maria Valtorta, du 17 février 1949, n'a pas été retenue par Pie XII. Le rapport Bea du 17 octobre 1952, qui tente de reprendre la main, n'a été aucunement validé par le Pape tant qu'il vécut et ce malgré les éditions de 1956, 1957, 1958. Dans son article de 1960, le Saint-Office ne peut donc se référer ni à une décision de 1949, invalidée, ni à une décision postérieure à 1952 qui ne fut pas prise, du moins du vivant du Pape.
    6. Lire à ce propos les témoignages des lecteurs de l'œuvre de Maria Valtorta.
    7. BENOÎT XVI, Verbum Domini, § 14 deuxième partie.
    8. Philippiens 2,5-7.
    9. "Nous avons avantage à (…) ne pas nous attarder trop aux faits divers de la vie de Notre Seigneur. C’est en cela peut-être que ces vies qui ont été faites de Notre Seigneur, (…) ces livres qui se présentent comme des révélations de la vie de Notre Seigneur, à mon sens, peuvent être un danger, parce que justement elles représentent Notre Seigneur d’une manière trop concrète, trop dans les détails de sa vie. Je pense bien sûr à Maria Valtorta. Et peut-être pour certains cette lecture peut faire du bien, elle peut approcher de Notre Seigneur, essayer de se figurer ce que pouvait être la vie des apôtres avec Notre Seigneur, la vie à Nazareth, la vie dans les visites que faisait Notre Seigneur dans les cités d’Israël. Mais il y a un danger, un grand danger : trop humaniser, trop concrétiser et pas suffisamment montrer le visage de Dieu, dans cette vie de Notre Seigneur. C’est là un danger. Je ne sais pas s’il faut tellement recommander à des personnes qui ne sont pas averties la lecture de livres comme cela. Je ne suis pas certain que cela les élève tellement et leur fasse connaître vraiment Notre Seigneur tel qu’il était, tel qu’il est, tel que nous devons le connaître, le croire."
    10. EMV 652 : Au moment de prendre congé de l’Œuvre.
    11. PAPE FRANÇOIS, Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation, 17 juillet 2024, Jamais de Christ sans chair, § 14 et 15.
    12. Lettre du 24 février 2024 à don Ernesto Zucchini, président de la Fondation Maria Valtorta de Viareggio.
    13. Voir à ce propos : le descriptif des lieux et le descriptif des personnages, etc.
    14. Analyse de l'œuvre de Maria Valtorta par Gabriele M. Allegra - Détails saisissants
    15. EMV 487.6. Il est difficile, quand on lit tout le développement que fait Jésus, dans tout ce passage, sur la nature du Messie d'y trouver des "erreurs ou inexactitudes doctrinales".
    16. Psaume 2,7-8.
    17. EMV 587.3.
    18. Marie de Nazareth - Réponse à Don Guillaume Chevallier : il n’y a aucune erreur doctrinale dans les écrits de Maria Valtorta - 24 janvier 2023 - II. « L’incarnation de satan en Judas » (doc.3, p.3 & p.24)