Serviteurs inutiles

    De Wiki Maria Valtorta
    Illustration de James Tissot (1836-1902), Brooklyn Museum

    Bien que Matthieu et Marc rapportent des épisodes proches sur le thème du service, cet enseignement de Luc 17,7-10 reste propre à l'évangéliste. Les exégèses s'interrogent, à son propos, sur le sens à donner aux serviteurs inutiles qui, pris au pied de la lettre, heurte la mentalité sociale. La vision de Maria Valtorta contextualise l'enseignement: il répond à une revendication de Judas sur l'importance de ses avis d'apôtre.

    Les questions soulevées par l'exégèse[modifier | modifier le wikicode]

    Comment doit être interprété cet épisode: comme une leçon de modestie, comme une critique de l’orgueil ou comme une affirmation de la grâce divine qui rend l’effort humain "inutiles" sans la coopération du Seigneur ?

    L’identification précise des "serviteurs"

    L’enjeu exégétique consiste à déterminer si le texte décrit réellement les disciples, une parabole imaginaire ou un enseignement général sur tout chrétien : la difficulté provient du glissement entre le contexte de la requête (versets 7‑8) et celui de l’obéissance (versets 9‑10)

    Le sens exact de "inutiles"

    Dans la version latine, le terme "inutile" signifie "sans profit, sans mérite". La traduction française "serviteurs inutiles" peut donc prêter à confusion : il ne s’agit pas d’une inutilité factuelle, mais d’une reconnaissance de l’absence de tout mérite personnel devant Dieu. Cette nuance linguistique est soulignée dans Deus Caritas Est 35, qui explique que le serviteur ne se considère pas supérieur, même s’il accomplit la tâche confiée

    La tension entre l’obéissance sans mérite et la reconnaissance divine

    Le texte affirme que le serviteur ne reçoit aucune louange "pour ce qu’il a fait", mais seulement "ce qui était commandé". L’exégèse doit donc rendre compte de la paradoxale absence de gratitude humaine face à une action qui satisfait pleinement la volonté divine.

    L'approche comparée de Luc et de Maria Valtorta[modifier | modifier le wikicode]

    La cause ignorée[modifier | modifier le wikicode]

    Luc ne dit pas ce qui motive cet enseignement. Il commence directement par la réponse de Jésus à un comportement inadapté de ses disciples. Cette cause est implicite. Certains la rattachent aux débats entre disciples sur qui est le plus grand, mais il faut remonter huit chapitres de Luc pour le trouver (Luc 9,46-48) et les récits parallèles de Matthieu et de Marc sur ce débat[1] notent avec celui de Luc, la nécessité d'être "serviteur de tous". La prétention à recevoir une rétribution que l'on trouve dans les serviteur inutiles, n'est pas exactement la même que celle de vouloir être le plus grand.

    Dans la vision de Maria Valtorta, il s'agit d'une prétention de Judas Iscariote qui entend établir avec Jésus un rapport de troc qui inverse celui de disciple à maître et transforme le devoir en droit.

    L'apôtre veut absolument détourner Jésus d'une rencontre avec les nobles romaines, ce qui dévoilerait les tractations qu'il mène en secret. Jésus n'est pas dupe. Judas s'embrouille et éclate:
    "Et moi, je te dis que tu devrais aussi penser à nos intérêts. Tu nous as tout enlevé : maison, gain, affections, tranquillité. Nous sommes des persécutés pour ta cause, et nous le serons aussi par la suite. Parce que Toi, tu le dis sur tous les tons, un beau jour tu t'en iras. Mais nous, nous restons, mais nous resterons ruinés, mais nous...[2]"  
    Jésus lui répond entre autres: "Et je te dis que j'ai pris ce que vous m’avez donné spontanément, d'une manière insistante." Judas, de plus en plus mal à l'aise, s'exclame:
    "Ne va pas à Césarée ! N'y va pas !  Écoute-moi, comme tu as écouté Jean quand tu voulais aller à Acor[3]. Nous avons tous les mêmes droits. Nous te servons tous de la même manière. Tu es obligé de nous satisfaire; à cause de ce que nous faisons... Traite-moi comme Jean ! Je le veux ! Quelle différence y a-t-il entre lui et moi ?[4]"   
    Plutôt que d'enfoncer Judas en proie à un grand trouble, Jésus lui répond en généralisant la leçon.

    Les serviteurs inutiles[modifier | modifier le wikicode]

    "Inutiles" est la reprise du latin et ce n'est pas dans le sens contemporain de "bons à rien" ou de "superflus" qu'il faut le comprendre, mais dans celui de "Qui n’ajoute rien" à la dette du maître: le serviteur n’a pas mérité un surplus de reconnaissance, car son action était due. Jésus choisit de prendre exemple sur le vécu de ses disciples en leur appliquant la logique sociale de l'époque:
    "Judas a rappelé que vous m'avez tout donné; et il m'a dit qu'en retour j'ai le devoir de vous satisfaire pour ce que vous faites. Mais rendez-vous un peu compte. Parmi vous, il y a des pêcheurs, des propriétaires terriens, plus d'un qui possède un atelier, et le Zélote qui avait un serviteur. Eh bien, quand les garçons de la barque, ou les hommes qui comme serviteurs vous aidaient à l'oliveraie, à la vigne ou dans les champs, ou les apprentis de l'atelier, ou simplement le serviteur fidèle qui s'occupait de la maison ou de la table, avaient fini leur travail, vous mettiez-vous par hasard à les servir ? [...]En effet le serviteur doit servir son maître et le maître ne lui a pas d'obligation, parce que le serviteur a fait ce que son maître au matin lui avait commandé. En effet, si le maître a le devoir d'être humain avec son propre serviteur, le serviteur a aussi le devoir de ne pas être paresseux et dissipateur, mais de coopérer au bien-être de celui qui l'habille et le nourrit. Supporteriez vous que vos mousses, vos ouvriers agricoles ou autres, votre domestique, vous disent : "Sers-moi, puisque j'ai travaillé" ? Je ne crois pas.[5]"

    La conduite à tenir[modifier | modifier le wikicode]

    Jésus se sert de l'incident pour généraliser la conduite des disciples dans l'avenir. Il l'étend au sentiment du devoir accompli et à celui de l'insatisfaction:
    "De même vous, en regardant ce que vous avez fait et ce que vous faites pour Moi - et, dans l'avenir, en regardant ce que vous ferez pour continuer mon œuvre et continuer à servir votre Maître - vous devez toujours dire, parce que vous verrez aussi que vous avez toujours fait beaucoup moins que ce qu'il était juste de faire pour être au pair avec tout ce que vous avez eu de Dieu : "Nous sommes des serviteurs inutiles car nous n'avons fait que notre devoir". Si vous raisonnez ainsi, vous ne sentirez plus de prétentions ni de mécontentements s'élever en vous, et vous agirez avec justice[5]."
    Une directive que Pierre et Jean s'empressent d'amplifier: "Maître, dis-moi : l'homme, ton serviteur, ne pourra-t-il jamais faire plus que son devoir pour te dire avec ce plus, qu'il t'aime complètement ?" Ce à quoi Jésus répond: "Ce serviteur m'a donné plus que son devoir ne lui imposait; Aussi Je lui donnerai la surabondance de mes récompenses". Et il généralise en répondant à Pierre qui s'enthousiasme: "je te donnerai une mesure débordante, dit-il, pour avoir cette surabondance !" : "Oui, tu me la donneras, lui répond Jésus, vous me la donnerez. Tout homme aimant la Vérité, la Lumière, me la donnera. Et ils seront avec Moi surnaturellement heureux[6]."   

    L'utilité de "l'inutilité"[modifier | modifier le wikicode]

    Dans la vision de Maria Valtorta, "l'inutilité" des serviteurs est le signe d’une humilité qui accepte de servir sans compter, car tout est déjà don. Maria Valtorta éclaire ce passage en le situant dans un conflit concret: Judas revendique un "droit" à la reconnaissance, inversant la relation maître-disciple. Jésus utilise alors la situation pour dénoncer la prétention à un échange marchand avec Dieu, où le service deviendrait une monnaie d’échange. C’est en reconnaissant son "inutilité" que le disciple devient véritablement utile au Royaume et surmonte prétentions et mécontentements.

    Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

    1. Matthieu 20,25‑28 | Marc 9,33‑35.
    2. EMV 422.5.
    3. Une prémonition de l'apôtre Jean le fait renoncer à un itinéraire. Cf. EMV 379.2.
    4. EMV 422.6.
    5. 5,0 et 5,1 EMV 422.7.
    6. EMV 422.8.