Parabole de l'intendant malhonnête
Alors que l’exégèse traditionnelle oscille entre allégorie spirituelle (la prévoyance en vue du Royaume) et lecture moralisante (condamnation de la malhonnêteté), Maria Valtorta propose une lecture à la fois réaliste et radicale. Pour elle, cette parabole révèle une loi du Royaume: les richesses, même injustement acquises[2], peuvent être vecteur de salut si elles sont utilisées pour la justice. L’argent n’est pas mauvais en soi, mais son usage égoïste l’est. La sainteté passe donc par une conversion économique: détachement, restitution, partage, mais aussi réparation des injustices, etc. d’autant plus difficile qu’on est un possédant[3] car elle nécessite une conversion qui se détourne de l'argent idolâtre (Mammon) pour se tourner vers l'amour de Dieu et de son prochain[4].
Les paradoxes soulevés par l'exégèse[modifier | modifier le wikicode]
Contrairement à d’autres paraboles (par ex. : le Bon Samaritain), celle de l'intendant malhonnête ne donne pas de réponse claire. Elle invite à une interprétation sur quelques points paradoxaux:
1. Louer un fraudeur
Le maître félicite l’intendant pour son comportement malhonnête (verset 8 : "Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté"). Selon l’interprétation traditionnelle (St Augustin) : Jésus ne loue pas la fraude, mais la prévoyance des "enfants de ce siècle".
Ce qui est compréhensible, mais la gêne vient du rapprochement de la malhonnêteté et de l’habileté dans la même louange, ce qui peut rendre l’habileté synonyme de ruse. Comment, dans ces conditions, un acte, qui résonne comme immoral, peut-il devenir un modèle pour les disciples car il se rapproche d’un Judas voleur, devenu lui aussi, intendant malhonnête ? (Jean 12,6).
2. Les richesses "injustes"
Le verset 9 ("Faites-vous des amis avec les richesses injustes") suggère d’utiliser des biens mal acquis pour se sauver. Mais que doit-on entendre par "Richesses injustes" ? S’agit-il des profits des vols, une sorte de réhabilitation ? Ou cela désigne-t-il les richesses en général opposées aux vraies richesses du Ciel comme le suggère le verset 11 ?
3. Dieu et Mammon
La conclusion (verset 13 : "On ne peut servir Dieu et Mammon") semble contredire le début (utiliser l’argent pour se sauver). D’autre part, si l’argent est diabolique (l'argent idolâtré[5]), comment peut-il servir le Royaume ?
4. L'accueil au Ciel des riches par les pauvres
La promesse du verset 9 ("Ils vous accueilleront dans les demeures éternelles") évoque une intercession par les pauvres, idée absente ailleurs dans les Évangiles, du moins explicitement[6]. Luc enchaîne trois paraboles sur les riches: Le riche insensé (Luc 12,16-21), celle de l'intendant malhonnête et celle du riche et du pauvre Lazare qui la suit (Luc 16,19-31). Quelle est la convergence de ces enseignements ?
5. Qui est vraiment le "maître" ?
Le maître de la parabole est-il une figure de Dieu ou le prototype d'un riche ordinaire ? Dieu peut-il donner un enseignement ambigu et le riche peut-il donner une leçon de sainteté ?
6. L'unité du récit
Le verset 18 introduit un commentaire sur le divorce[7] qu'il est difficile de raccrocher à la parabole ou même à la réaction des pharisiens qui "aimaient l'argent" (verset 15). Qu'ils tournent en dérision l'enseignement de Jésus sur l'argent est compréhensible: cela comporte un reproche à leur encontre (mais lequel ?). Que Jésus enchaîne avec un rappel de la Loi divine est aussi compréhensible, mais ce passage de l'argent au divorce interroge.
7. Une narration condensée
La parabole (Mashal en hébreu) est traditionnellement constituée de trois parties distinctes :
- L’annonce du thème: c'est le prologue ou l’introduction qui situe le sujet, prépare l’auditoire et indique le but immédiat de la parabole.
- La parabole elle‑même: c'est le récit narratif qui utilise un événement quotidien pour illustrer la vérité spirituelle.
- Le commentaire: c'est la conclusion ou l’explication (exégèse) où le maître révèle le sens caché et en tire la leçon morale ou théologique.
Dans la narration de Luc, l'annonce du thème est absente. Elle commence directement par la parabole (versets 1 à 7) et conclut l'enseignement par les points clés (versets 8 à 13). L'évangéliste rajoute les réactions de la partie hostile de l'auditoire, ce qui donne l'occasion à Jésus de tirer un nouvel enseignement non pas sur une parabole mais sur l'exemple fournit par ses contradicteurs.
Ce qui peut donc répondre aux paradoxes apparents et montrer toute la cohérence d'ensemble (et l'importance) de cet enseignement, se trouve dans les parties que Luc a résumées ou omises.
L'approche comparée de Luc et de Maria Valtorta[modifier | modifier le wikicode]
La narration de Maria Valtorta reprend les trois parties complètes d'une parabole: annonce, illustration, commentaire. Selon elle, la scène se passe quasiment un an avant la Passion de Jésus. Elle a lieu près de Jéricho, ce qui explique la présence d'un groupe d'esséniens[8] parmi la "grande foule [qui] attend le Maître, disséminée tout en bas des pentes d'une montagne presque isolée". C'est une foule emplie de ferveur à laquelle s'est mêlé un groupe de pharisiens, ceux-là même qui interviendront dans le récit évangélique comme dans celui de Maria Valtorta[9].
1. L’annonce du thème[modifier | modifier le wikicode]
Jésus annonce le salut pour le pécheur pris dans le filet des richesses. "L’homme, libre mais imparfait, gaspille les dons de Dieu." Dieu a tout donné à l’homme – liberté, biens, conseils – pour qu’il choisisse le Bien. Pourtant, l’homme agit "comme pourrait en user un enfant pour la plus grande partie de l'humanité, ou comme un sot, ou comme un criminel pour le reste de l'humanité". Mais voici l’heure de vérité : la mort survient, et le Juge divin exige des comptes. "Comment as-tu usé de ce que Je t’avais confié ?" Alors, richesses, honneurs et plaisirs ne vaudront plus qu’un fétu de paille face à l’éternité. Impossible de tromper Dieu…
Pourtant, une issue existe : faire servir même la corruption au salut. Le pauvre qui ne maudit pas sa misère, le riche qui donne au lieu d’accumuler – tous découvrent un secret: La miséricorde transforme les pièges en chemins, et nos faiblesses en leviers pour le Royaume. "Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent" avait annoncé Jésus dès le début de son ministère (Luc 5,31-32).
C'est ce qui donne le sens à la parabole et à l'enseignement qui la développe. L'intendant sera l'homme à qui Dieu a confié la richesse spirituelle et matérielle, et à qui il demande des comptes au terme de sa vie. Non à un intendant paré de toutes les vertus, mais à un homme en proie aux convoitises du monde."Ce serait beau si l'homme était parfait comme le veut le Père des Cieux[10]. Parfait dans toutes ses pensées, ses affections, ses actes. Mais l'homme ne sait pas être parfait et il use mal des dons de Dieu qui a donné à l'homme la liberté d'agir, en lui commandant pourtant les choses bonnes[11], en lui conseillant les parfaites pour que l'homme ne puisse pas dire : "Je ne savais pas".Comment l'homme use-t-il de la liberté que Dieu lui a donnée ? Comme pourrait en user un enfant pour la plus grande partie de l'humanité, ou comme un sot, ou comme un criminel pour le reste de l'humanité. Mais ensuite vient la mort et l'homme est soumis au Juge qui lui demandera sévèrement[12] : "Comment as-tu usé et abusé de ce que Je t'avais donné ?". Terrible question ! Comment alors paraîtront moins que des fétus de paille les biens de la Terre pour lesquels si souvent l'homme se rend pécheur ! Pauvre d'une indigence éternelle, dépouillé d'un vêtement que rien ne peut remplacer[13], il restera humilié et tremblant devant la Majesté du Seigneur, et il ne trouvera pas de mot pour se justifier. Sur la Terre, en effet, il est facile de se justifier en trompant les pauvres hommes mais, au Ciel, il est impossible de tromper Dieu. Jamais. Et Dieu ne s'abaisse pas à des compromis. Jamais.
Comment alors se sauver ? Comment faire servir au salut tout, même ce qui est venu de la Corruption qui a enseigné les métaux précieux et les gemmes comme instruments de la richesse, qui a allumé les désirs de puissance et les appétits charnels[14] ? Est-ce que l'homme ne pourra pas lui qui, si pauvre qu'il soit peut toujours pécher en désirant immodérément l'or, les honneurs et les femmes[15] — et alors il devient voleur pour avoir ce que le riche possédait — l'homme riche ou pauvre ne pourra-t-il jamais se sauver[16] ? Si, il le peut. Et comment ? En faisant servir les richesses au Bien, en faisant servir la misère au Bien. Le pauvre qui n'envie pas, qui ne fait pas d'imprécations, qui ne porte pas atteinte à ce qui appartient à autrui, mais se contente de ce qu'il a, fait servir son humble état à l'obtention de sa sainteté future[17] et, en vérité, la majorité des pauvres sait agir ainsi. Moins savent le faire les riches, pour lesquels la richesse est un piège continuel de Satan, de la triple concupiscence[14].
Mais écoutez une parabole et vous verrez que les riches aussi peuvent se sauver tout en étant riches, ou réparer leurs erreurs passées en usant bien des richesses même si elles ont été mal acquises. Car Dieu, le Très Bon, laisse toujours de nombreux moyens à ses fils pour qu'ils se sauvent[18]. "
2. La parabole[modifier | modifier le wikicode]
À l'approche imminente du jugement qui le sanctionnera, l'intendant prend conscience qu'il doit trouver l'ultime moyen de s'en sortir. Travailler est hors de sa portée: il n'est "plus habitué au travail et alourdi par la bonne chère". Mendier une aumône lui semble "humiliant". Il décide donc de se "reconvertir" en rendant service pour se constituer un réseau d'amis: "Celui qui rend service a toujours des amis."
C'est dans cet état d'esprit qu'il contacte les débiteurs de son maître. L'œuvre de Maria Valtorta en cite deux, les mêmes que Luc (elle évoque simplement, comme lui, tous les autres). Elle rajoute cependant une motivation, qui n'apparaît pas explicitement chez l'évangéliste, et qui servira à l'enseignement final: la compassion. Les débiteurs ont subi les épreuves de la vie et sont tombés dans l'endettement. Ils affrontent leur état avec dignité et en assumant de plus leur charge de famille. L'intendant affiche sa compassion et remet les dettes en rapport avec la difficulté assumée: cinquante barils d'huile au lieu de cent pour le premier ; quatre-vingts boisseaux de grains au lieu de cent pour le second. C'est cette compassion, traduite dans les faits, qui génère la reconnaissance des deux débiteurs.
Un enfant du siècle[modifier | modifier le wikicode]
Mais l'intendant malhonnête n'est pas un modèle de sainteté: c'est un "enfant du siècle": il ne songe qu'à vivre au crochet d'un puissant par ruse, sans autre but que de jouir de la vie matérielle. Il dénigre son maître pour mieux se valoriser. Il fait croire à ses interlocuteurs que sa déchéance sera le fruit de son courage. Il n'envisage pas de travailler ou de mendier, mais de continuer à vivre au crochet des débiteurs qu'il secoure. Il masque sa démarche intéressée derrière un sentiment de compassion, plus calculateur que sincère. L'exégèse qui conclut que la leçon spirituelle de la parabole est à chercher non dans ce que fait l'intendant mais dans ce qu'il démontre, est pertinente. L'intendant n'est pas un modèle imitable, mais l'inspirateur d'un chemin pour les "fils de la Lumière". C'est cette thèse qu'exprime Luc et que développe Maria Valtorta: "Je vous exhorte, commente Jésus dans Maria Valtorta, à être au moins comme les enfants du siècle, avisés avec les moyens du siècle, pour les faire servir de monnaie pour entrer dans le Royaume de la Lumière[19]".
Ce dualisme entre "enfants du siècle" et "enfants de la Lumière" était particulièrement parlant pour l'auditoire de l'époque. Jésus s’adresse en effet à un public juif familier de ces oppositions. L’expression "enfants de ce siècle" s’inscrit dans une tradition juive ancienne, où "olam hazé" (ce monde-ci) désigne l’ère présente, marquée par la corruption et la mortalité. C'est à prendre en compte dans les réactions des Esséniens et des Pharisiens, qui se manifesteront à la suite de cette parabole[20].
Par opposition, le siècle à venir (Olam haba) désignait le monde de Dieu. On en a un exemple en Matthieu 12,32. Dans un dictée du 11 janvier 1944[21], l'apôtre Paul parle des "enfants du siècle" qu'il oppose aux "enfants du siècle à venir: l'éternel".
Jésus reprend ce cadre dualiste, mais en y introduisant un renversement typique de son enseignement : là où les textes apocalyptiques juifs condamnent irrévocablement "ce monde", il en fait un miroir pédagogique. Ainsi, l’intendant malhonnête, bien qu’incarnant ce monde matérialiste, devient paradoxalement une inspiration à transposer pour les "enfants de la Lumière".
L'Évangile démontre que Jésus n'hésitait pas à recourir à des "contre-exemples" pour son enseignement: c'est le cas de la parabole du bon samaritain[22] ou celle du fils prodigue[23], toutes les deux rapportées par Luc.
3. Le commentaire[modifier | modifier le wikicode]
Tout ceci se retrouve dans la leçon finale."Et ce que disait le riche, Moi aussi, je vous le dis : "La fraude n'est pas belle, et pour elle je ne louerai jamais personne[24]. Mais je vous exhorte à être au moins comme les enfants du siècle, avisés avec les moyens du siècle, pour les faire servir de monnaie pour entrer dans le Royaume de la Lumière". C'est-à-dire, avec les richesses terrestres, moyens injustement répartis et employés pour acquérir un bien-être passager[25], sans valeur dans le Royaume éternel, faites-vous-en des amis qui vous en ouvriront les portes. Faites du bien avec les moyens dont vous disposez, restituez ce que vous ou d'autres de votre famille, ont pris indûment, détachez-vous de l'affection maladive et coupable pour les richesses. Et toutes ces choses seront comme des amis qui à l'heure de la mort vous ouvriront les portes éternelles et vous recevront dans les demeures bienheureuses[12].La parabole aborde centralement le rapport de l'Homme aux biens terrestres: ce qu'il en fait et comment il le vit. Ainsi reconstituée avec ses trois parties, elle transpose aux "enfants de la Lumière", les pratiques des "enfants du siècle". Cette reconversion repose sur un but et sur trois moyens:Comment pouvez-vous exiger que Dieu vous donne ses biens paradisiaques, s'il voit que vous ne savez pas faire bon usage même des biens terrestres ? Voulez-vous, supposition impossible, qu'il admette dans la Jérusalem céleste des éléments dissipateurs ? Non, jamais. Là-haut on vivra dans la charité et la générosité et la justice. Tous pour Un et tous pour tous[26]. La Communion des Saints est une société active et honnête, c'est une société sainte. Et il n'y a personne qui puisse y entrer, s'il s'est montré injuste et infidèle.
Ne dites pas : "Là-haut nous serons fidèles et justes car là-haut nous aurons tout sans crainte d'aucune sorte". Non. Qui est infidèle dans les petites choses serait infidèle même s'il possédait le Tout[27] et qui est injuste dans les petites choses est injuste dans les grandes[28]. Dieu ne confie pas les vraies richesses à celui qui dans l'épreuve terrestre montre qu'il ne sait pas user des richesses terrestres.
Comment Dieu pourrait-Il vous confier un jour au Ciel la mission de soutenir vos frères sur la Terre quand vous avez montré que vous ne savez que soutirer et frauder ou conserver avidement ? Il vous refusera donc votre trésor, celui qu'il vous avait réservé, pour le donner à ceux qui ont su être avisés sur la Terre, en faisant servir à des œuvres justes et saines ce qui est injuste et malsain.
Personne ne peut servir deux maîtres. Car il appartiendra à l'un ou à l'autre, ou bien il haïra l'un ou l'autre. Les deux maîtres que l'homme peut choisir sont Dieu ou Mammon. Mais si vous voulez appartenir au premier, vous ne pouvez revêtir les uniformes, écoutez la voix, employer les moyens du second".
Le but:
- "sans valeur dans le Royaume éternel, faites-vous-en (des richesses terrestres) des amis qui vous en ouvriront les portes."
Les moyens:
- "Faites du bien avec les moyens dont vous disposez,
- "restituez ce que vous ou d'autres de votre famille, ont pris indûment,
- "détachez-vous de l'affection maladive et coupable pour les richesses."
L'enseignement social[modifier | modifier le wikicode]
Par plusieurs points, cet enseignement sur les richesses préfigure la Doctrine sociale de l'Église (DSE) notamment dans une de ses affirmations: "si l'on s'y consacre avec la foi, l'espérance et la charité des disciples du Christ, l'économie et le progrès peuvent aussi être transformés en lieux de salut et de sanctification; dans ces domaines aussi il est possible d'exprimer un amour et une solidarité plus qu'humains et de contribuer à la croissance d'une humanité nouvelle, qui préfigure le monde des temps derniers.[29]"
Pour Maria Valtorta l'homme n'est pas propriétaire des biens terrestres, mais leur gestionnaire (intendant). Ce que développe l'enseignement de l'Église: Les biens terrestres ont une destinée universelle avec une option préférentielle pour les pauvres[30]. Dieu dénie toute prétention de propriété absolue[31]
La miséricorde[modifier | modifier le wikicode]
Dans l’explication de la parabole par Maria Valtorta, la remise des dettes - transposée aux "enfants de la Lumière" - prend une place centrale. Elle n'est plus une habileté intéressée de l’intendant, mais devient figure d’un acte de compassion. La tradition biblique donne à cette remise une portée théologique forte : elle évoque le Jubilé, où Dieu ordonne la libération des dettes et des esclaves[32] afin que son peuple ne soit jamais prisonnier d’un asservissement économique. Cette référence était certainement très présente dans son auditoire d'alors. Jésus reprend ce langage pour manifester que l’usage des biens terrestres doit toujours être orienté vers le prochain.
La miséricorde, dans ce contexte, dépasse le simple calcul économique. Elle introduit une logique de gratuité qui reflète le cœur même de Dieu : "Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux[33]" . L’intendant, en réduisant la dette, esquisse une attitude où la compassion prend le pas sur la stricte justice contractuelle. Ce geste rejoint l’enseignement social de l’Église : l’économie, pour être juste, doit s’ouvrir à la charité, devenir solidaire et attentive aux plus faibles[34]. Ainsi, la parabole met en lumière la valeur rédemptrice d’une économie traversée par la miséricorde.
La compassion est la faculté à percevoir ou ressentir profondément la souffrance d’autrui en voulant y remédier activement. La miséricorde surpasse la compassion en ce qu'elle devient la compassion en action dans un champ plus universel : elle compatit jusqu’à l’indulgence et le pardon envers les coupables qui se repentent. À l’échelle de l’Humanité, la Miséricorde est un attribut fondamental du Christ qui déclare, dans Matthieu 9,13, vouloir "la miséricorde, non le sacrifice".
La communion des saints[modifier | modifier le wikicode]
L’expression de Jésus: "toutes ces choses seront comme des amis qui à l'heure de la mort vous ouvriront les portes éternelles et vous recevront dans les demeures bienheureuses" rejoint celle de Luc 16,9 : "afin qu’ils vous accueillent dans les demeures éternelles". Elle ouvre la parabole à une dimension eschatologique. Les pauvres bénéficiaires de la remise de dette deviennent paradoxalement les "garants" de l’entrée dans le Royaume de ceux qui ont partagé leurs biens. Ce renversement rappelle l’enseignement de Matthieu 25,40 : "Tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait".
Dans cette perspective, la parabole illustre la communion des saints : solidarité mystérieuse où les biens matériels, lorsqu’ils sont partagés avec amour, deviennent semence de vie éternelle[29]. Les pauvres accueillent les riches au ciel parce qu’ils ont été les médiateurs d’une grâce reçue par leur libération. Ainsi, la gestion des biens terrestres, marquée par la miséricorde, trouve son accomplissement dans la communion des saints, où le partage d’ici-bas se transforme en accueil dans l’éternité.
4. Les réactions de l'auditoire[modifier | modifier le wikicode]
La première remarque vient d’un essénien. Conformément à sa croyance, il nie le libre-arbitre : "L'homme n'est pas libre de choisir. Il est contraint de suivre sa destinée." Ce à quoi Jésus répond par la justice de Dieu qui ne peut condamner un embryon innocent qui n’a encore rien commis. C'est une revanche de Dieu sur l'offense qu'Il a reçu, argumente l'essénien. Non, lui répond Jésus: Dieu ne se revanche pas. "Dieu a laissé à ses fils la liberté de choisir le Bien ou le Mal." Cette seconde affirmation du libre-arbitre provoque une réaction d'un scribe: "Il nous a tentés au-delà de nos forces. Nous sachant faibles, ignorants, empoisonnés, Il nous a exposé à la tentation. C'est de l'imprudence ou de la méchanceté." Jésus répond par le mérite de l'Homme que le scribe juge inutile.
L’essénien avance une deuxième objection : l’âme est immortelle, mais la résurrection de la chair n’apporte rien. "Mais ne te paraît-il pas juste que, comme en ce jour chair et âme ont été unies dans la lutte pour posséder le Ciel, qu'au Jour de l'éternité chair et âme soient unies pour jouir de la récompense ?" lui répond Jésus en le renvoyant sur l'ascèse des esséniens. C'est le prétexte à réveiller l'antagonisme entre les esséniens et les pharisiens: "pour être davantage homme seigneur, justifie l'ascète, au-dessus des autres animaux qui obéissent irrésistiblement à leurs désirs, et pour être supérieur à la plus grande partie des hommes qui sont barbouillés d'animalité, même s'ils étalent des phylactères et des franges, et des houppettes et de larges vêtements et s'ils se disent des "séparés[35]". L'attaque est frontale. Les pharisiens en appellent à Jésus pour leur défense. Il les renvoie à leur hypocrisie et lance cet appel à la foule:"Ce n'est jamais fini pour celui qui veut le bien ! Écoutez, ô vous pécheurs, ô vous qui êtes dans l'erreur, ô vous, quel que soit votre passé. Repentez-vous. Venez à la Miséricorde. Elle vous ouvre les bras. Elle vous montre le chemin. Je suis la source pure, la source de vie. Rejetez les choses qui vous ont dévoyés jusqu'ici ! Venez nus au bain. Revêtez-vous de lumière. Naissez de nouveau. Vous avez dérobé, comme des voleurs sur les routes, ou en grands seigneurs astucieusement dans les commerces et les administrations ? Venez. Vous avez eu des vices ou des passions impures ? Venez. Vous avez été oppresseurs ? Venez. Venez. Repentez-vous. Venez à l'amour et à la paix. Oh ! mais permettez à l'amour de Dieu de se déverser sur vous. Soulagez-le cet amour angoissé par votre résistance, votre peur, vos hésitations. Moi, je vous en prie, au nom de mon Père et du vôtre. Venez à la Vie et à la Vérité et vous aurez la vie éternelle."Les pharisiens murmurent contre Jésus et le méprisent comme "marchand d'illusions et d'hérésies", comme "pécheur qui feint d'être saint". Jésus reprend alors un plaidoyer pour le Royaume de Dieu qui accompli la Loi que les Pharisiens ont dévoyée:
"Venez, ô petits d'Israël. La Loi est amour ! Dieu est amour ! C'est ainsi que je parle à ceux que vous avez effrayés. La Loi sévère et les prophètes menaçants qui m'ont prédit, mais n'ont pas réussi à écarter le péché malgré les cris de leurs prophéties angoissantes, s'arrêtent à Jean. Après Jean vient le Royaume de Dieu, le Royaume de l'amour. Et Moi, je dis aux humbles : "Entrez-y, il est pour vous". Et que tous ceux qui sont de bonne volonté s'efforcent d'y entrer. Mais pour ceux qui ne veulent pas courber la tête, se frapper la poitrine, dire : "J'ai péché", il n'y aura pas de Royaume. Il est dit : "Circoncisez votre cœur, et ne raidissez plus votre nuque[36]". [...] Je rends à la Loi sa forme primitive que vous avez déformée. Car c'est une Loi qui durera autant que la Terre, et le ciel et la terre disparaîtront avant que disparaissent un seul de ses éléments ou de ses conseils. Et si vous la changez, parce que cela vous plaît, et si vous ergotez pour chercher des échappatoires à vos fautes, sachez que cela ne sert à rien. Cela ne sert pas, ô Samuel ! Cela ne sert pas, ô Isaïe ! Il est toujours dit : "Ne commets pas l'adultère[37]", et Moi je complète : "Celui qui renvoie une épouse pour en prendre une autre est adultère, et celui qui épouse une femme répudiée par son mari est adultère, car ce que Dieu a uni la mort seule peut le séparer".
Ce sont donc ces réactions de l'auditoire le plus impacté par cet enseignement sur les richesses, qui donnent leur cohérence aux versets 14 à 18 de Luc 16.
Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Luc 16,1-13.
- ↑ Luc parle de dilapidation (Luc 16,1) et non de vol. Maria Valtorta précise le contenu de ces on-dits: "Il dissipe tes biens, ou bien il se les approprie, ou bien il néglige de les faire fructifier. Fais attention ! Défends-toi !" (EMV 381.4).
- ↑ Cf. Matthieu 19,23-24: "Amen, je vous le dis : un riche entrera difficilement dans le royaume des Cieux. Je vous le répète : il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux."
- ↑ Cf. Matthieu 22,36-40: "Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? Jésus lui répondit: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes."
- ↑ Dans la culture hébraïque, mamon est simplement la richesse matérielle. Mais dans la bouche de Jésus (Luc 16,13), Mammon devient une figure symbolique de l’argent divinisé, une force qui asservit et entre en concurrence avec Dieu.
- ↑ Jean-Paul II le rattache à St Grégoire le Grand, mais aussi à la béatitudes: "Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous" (Luc 6,20) (Discours du 7 février 2004 à la communauté San'Egidio, §2).
- ↑ "Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère ; et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari commet un adultère."
- ↑ Qumrân, leur lieu historique d'implantation, n'est qu'à une vingtaine de kilomètres de Jéricho. Au moment où cette vision est écrite (10 février 1946), les grottes de Qumrân ne sont pas encore découvertes. L'œuvre de Maria Valtorta évoque cette secte dont les erreurs, déjà relevées en EMV 80.3 et dans les dernières lignes d’EMV 80.4, sont mises en évidence et réfutées dans le dialogue qui s'établit, dans l'épisode, entre Jésus et un essénien (EMV 381.6).
- ↑ Luc 16,14 | EMV 381.8.
- ↑ Lévitique 19,2: "Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint." | Matthieu 5,48:"Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait." | EMV 171.5.
- ↑ Cf. Deutéronome 30,11-20. Notamment les versets 11 et 14.
- ↑ 12,0 et 12,1 Sévèrement, comme lors du Jugement dernier rapporté par Matthieu 25,31-46 à l'encontre des égoïstes (les boucs), mais accueillant aux compatissants (les brebis).
- ↑ L'âme dépouillée du corps mortel et des richesses terrestres.
- ↑ 14,0 et 14,1 Genèse 3,1‑5 – Le Serpent corrompt Adam et Ève en leur promettant une connaissance qui les rendra "comme des dieux", ouvrant ainsi la porte à l’avidité et à la recherche de biens matériels. Exode 32,1‑8 – Le peuple d’Israël fabrique un veau d’or, l’adore et l’offre en sacrifice. Le métal devient le centre même du culte, révélant comment le désir de richesse se transforme en adoration. Ézéchiel 28,12‑17 – Le texte décrit un être couvert de pierres précieuses, dont le cœur s’enfle à cause de la splendeur des gemmes, menant à la violence et à la chute. Paul conclut: "l’amour de l’argent est la racine de tous les vices" (1 Timothée 6,10).
- ↑ Les trois concupiscences : Orgueil: Désir excessif de se placer au‑dessus des autres et, surtout, de Dieu (CEC §1866 | Cupidité: Recherche insatiable de richesses matérielles (CEC §2445) | Luxure: Désir passionné et dévié de plaisirs sexuels (CEC §1866).
- ↑ Cf. Proverbes 30,6-9.
- ↑ Le "contentement du pauvre" est une vertu spirituelle qui aide le pauvre à rester digne et à ne pas succomber aux vices, tout en ne dispensant jamais l’Église d’appeler les sociétés à la justice, à la redistribution équitable et à la solidarité (ce qui est le message de cette parabole). Le message n’est donc pas "accepter l’injustice", mais "vivre dans l’espérance et l’humilité tout en œuvrant pour un monde plus juste".
- ↑ EMV 381.3/4.
- ↑ EMV 381.5.
- ↑ EMV 381.6/9.
- ↑ Les Cahiers de 1944, p.50. "Moi, qui suis témoin du Christ, je vous le jure: ni la chair ni le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, mais uniquement l’esprit. Et, comme il est dit dans l’Évangile de notre Seigneur Jésus Christ [Luc 16,8], ce ne sont pas les enfants de ce siècle — entendez par là, mes frères, ceux qui sont dans le monde, autrement dit les terrestres —qui sont destinés à ressusciter et à se reposer en ayant une seconde vie sur terre. Seuls ressusciteront ceux qui sont dignes du second siècle, l’éternel".
- ↑ Luc 10,25-37.
- ↑ Luc 15,11-37.
- ↑ En EMV 82.3, on voit comment Judas utilise la tromperie pour vendre les bijoux d'Aglaé qui serviront à la rançon du Baptiste.
- ↑ Cet avis de Jésus trouve une illustration dans la parabole du riche et du pauvre Lazare (Luc 19-19-31) qui suit immédiatement celle de l'intendant malhonnête.
- ↑ Formulation concise souvent rencontrées dans les enseignements de Jésus. Tous pour Un : "Dieu sera tout en tous" (1 Corinthiens 15,28) - "Afin qu’ils soient un comme nous sommes un" (Jean 17,22) | Tous pour tous : "Un seul corps, un seul esprit" (Éphésiens 4,4)
- ↑ Maria Valtorta éclaircit cette expression par la note suivante, sur une copie dactylographiée: "Manière de parler imagée pour rendre compréhensible la comparaison : bien évidemment, au Ciel on ne peut ni pécher ni être infidèle, car ceux qui sont au Ciel sont déjà confirmés en grâce et ne peuvent plus pécher. Mais Jésus fait cette comparaison pour être mieux compris."
- ↑ Cette expression est mentionnée en Luc 16,10. Certaines traductions retiennent le mot malhonnête, d'autres celui d'injuste. Dans l'Évangile on retrouve plusieurs fois cette notion de similitude entre le comportement (petites ou grandes choses): Matthieu 25,21 et 23 (Parabole des talents) | Luc 19,17 (Parabole des mines) ou, au contraire, d'incohérence: Matthieu 23,23‑24 et Luc 11,42 (apostrophe sur les pharisiens).
- ↑ 29,0 et 29,1 Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, § 326 citant Jean-Paul II, Encyclique Laborem exercens, § 25-27, 14 septembre 1981, à l'occasion du 90e anniversaire de l'encyclique Rerum Novarum.
- ↑ Compendium: Destinée universelle - §171-175 - Destination universelle des biens et option préférentielle pour les pauvres - §182-184.
- ↑ Pape François, encyclique Laudato Si', §67 - 24 mai 2015.
- ↑ Lévitique 25 | Deutéronome 15.
- ↑ Luc 6,36.
- ↑ BENOÎT XVI - Caritas in veritate, §6.
- ↑ Pharisiens veut dire "séparés" en araméen.
- ↑ Deutéronome 10,16.
- ↑ Exode 20,14 | Deutéronome 5,18.