Lettre d'Antioche

    De Wiki Maria Valtorta

    En EMV 461.13, Jésus reçoit par l'entremise d'un certain Zénon, une lettre de Syntica (Sintica, Syntykhè[1]) une esclave grecque en fuite, réfugiée à Antioche de Syrie "cette petite Rome, cette grande ville, reine de l'Orient." C'était en effet, à l'époque, la troisième ville de l'empire romain.

    La lettre de cette femme intelligente et cultivée a plusieurs intérêts :

    • Elle fournit des descriptifs historiques sur cette métropole romaine de Syrie et sur les populations qui la composait.
    • Elle expose une vision de l'évangélisation du monde romain qui n'allait pas tarder à commencer. Antioche de Syrie fut en effet le premier siège apostolique (Pierre y a séjourné) et c'est là que pour la première fois les disciples furent appelés "chrétiens"[2]
    • Elle fournit incidemment une information qui a permis à Jean Aulagnier, puis à Jean-François Lavère de dater la vie du Christ selon les données recueillies dans l'œuvre..

    Antioche, la métropole cosmopolite

    La puissance d'Antioche remonte à Séleucos I Nikatôr (305-280 av. J.C.). Général d'Alexandre le Grand, il reçut en partage la Syrie et l'est de l'Asie mineure et devint le fondateur de l’Empire Séleucide. Ceci explique la présence de grecs, dont Zénon, le porteur de missive. Ce grec est "fournisseur de la maison du Légat et de nombreuses maisons romaines" mais aussi des cohortes d'Orient. C'est à Antioche de Syrie, dite aussi Antioche sur l'Oronte, que réside le légat de l'empereur, gouverneur de la province impériale.

    Syntica, grecque elle-même s'empresse de préciser que Zénon agit ainsi non par soumission servile, mais pour "traire les vaches du Tibre [...] d'une manière astucieuse faite d'hommages serviles qui voilent une haine implacable"[3]. La conquête par Pompée en 64 av. JC. n'était pas très loin.

    Par souci d'évangélisation, Syntica quitte le quartier résidentiel d'Antigonie, propriété de Lazare de Béthanie, pour rejoindre la ville même d'Antioche "certaine de pouvoir travailler davantage sur ce terrain où, comme à Rome, toutes les races se fondent et se mélangent". La ville était la troisième de l'empire romain après Rome et Alexandrie et comptait environ 500.000 habitants, dont 200.000 esclaves.

    Théophile, le père de Lazare de Béthanie, syrien, était ethnarque de la communauté juive de la ville, c'est-à-dire gouverneur pour le compte de l'autorité romaine. Peut-être parce que sa femme, Euchérie, mère de Lazare, Marthe et Marie, était une princesse juive. Ces éléments que l'on apprend par ailleurs dans l'œuvre, expliquent la fortune de Lazare, Marthe et Marie de Magdala et la protection dont les propriétés de Jérusalem bénéficiait[4].

    Antioche, première Église apostolique de l'histoire

    Syntica poursuit sa lettre par une vision de l'évangélisation du monde romain dans laquelle elle prédit que la Bonne Nouvelle serait mieux accueillie par les "gentils" (les païens) dont elle-même était issue, que dans le judaïsme où la Bonne Nouvelle avait été proclamée. Son expérience d'Antioche lui faisait aussi comprendre que l'Église s'adosserait à la puissance romaine pour son extension.
    Je pense, et je te le dis, que cette force romaine sera la force chrétienne quand elle t'aura connu, et que c'est par les citadelles de la romanité païenne qu'il faudra commencer le travail parce qu'elles seront toujours les maîtresses du monde et une romanité chrétienne voudra dire une chrétienté universelle. Quand cela arrivera-t-il? Je ne sais, mais je sens que cela arrivera. C'est pour cela que je regarde en souriant ces témoignages de la puissance romaine, en pensant au jour où ils mettront leurs enseignes et leur force au service du Roi des rois. Je les regarde comme on regarde des amis qui ne savent pas encore qu'ils le sont, qui feront souffrir avant d'être conquis, mais qui, une fois conquis, te porteront, porteront la connaissance de Toi jusqu'aux confins du monde.

    Moi, pauvre femme, voilà ce que j'ose dire à ceux qui sont mes grands frères en Toi. Quand ce sera l'heure de conquérir le monde à ton Royaume, il ne faudra pas commencer par Israël trop renfermé dans son rigorisme mosaïque aigri par les pharisiens et les autres castes pour être conquis, mais par ici, par le monde romain, par ses ramifications - les tentacules par lesquels Rome étrangle toute foi, tout amour, toute liberté différente de ce qu'elle veut, au service de ses intérêts - c'est par ici que devra commencer la conquête des esprits à la Vérité.

    Tu le sais. Seigneur. Mais je parle pour les frères qui ne peuvent croire que nous aussi, les gentils, nous aspirons au Bien. C'est aux frères que je dis que sous la cuirasse païenne il y a des cœurs déçus par le vide du paganisme, qui ont la nausée de la vie qu'ils mènent dictée par les coutumes, qui sont las de la haine, du vice, de la dureté. Il y a des esprits honnêtes, mais qui ne savent pas où s'appuyer, pour trouver un assouvissement à leurs aspirations au Bien. Donnez-leur une Foi qui les assouvisse, ils mourront pour elle en la portant toujours plus en avant, comme un flambeau dans les ténèbres, comme les athlètes des jeux helléniques".  
    L'histoire confirme effectivement la propagation du christianisme au cœur même de l'empire romain puisque la première persécution d'ampleur eu lieu sous le règne de Néron à l'occasion de l'incendie de Rome[5], soit une trentaine d'années seulement après la mort du Christ. Déjà l'Évangile évoque l'intervention de la femme de Ponce Pilate (Claudia Procula dans l'œuvre) en faveur de Jésus[6] et l'Église honore saint Longinus, le centurion du Calvaire. Sans compter la conversion du centurion Corneille, etc... Mais l'analyse de Syntica trouve aussi un écho dans les évènements qui firent qui fait d'Antioche "la première Eglise apostolique organisée de l'histoire (Ac, 11,25-26)[7]".Ainsi le Père Siméon Vailhé (1873-1960), un assomptionniste spécialiste des études byzantines et lauréat du Prix Marcelin-Guérin (1935 - Académie française) écrit[8] :
    C'est surtout parmi les païens que se répandit la parole de vie et se forma la communauté religieuse d'Antioche. Entrés directement dans le bercail du christianisme, sans passer par la porte des observances judaïques, ces premiers chrétiens supportaient mal la circoncision, le repos sabbatique et autres pratiques légales que voulaient leur imposer les convertis de la Synagogue. Le baptême du centurion Corneille et les tendances libérales, dont saint Pierre fit profession à l'égard des Gentils, occasionnèrent des disputes véhémentes entre les deux fractions de la communauté antiochienne. Paul et Barnabé prirent ouvertement parti contre les observances légales et portèrent les doléances des fidèles sortis du paganisme devant le Concile assemblé à Jérusalem. Celui-ci ratifia les innovations des deux apôtres missionnaires et proclama l'affranchissement absolu des Gentils vis-à-vis du joug de la loi. Peu après, le nom de chrétien, donné aux disciples de Jésus-Christ, accusa davantage la scission entre l'Eglise et la Synagogue et libéra complètement celle-là du fardeau mosaïque. Antioche est donc le berceau de l'Eglise libre, la vraie métropole du christianisme indépendant ; honneur que ne saurait lui disputer la communauté du mont Sion, restée fidèle au temple et à la loi, jusqu'à la prise de Jérusalem par Titus. Une gloire plus grande encore fit ressortir de bonne heure les privilèges d'Antioche et l'éleva au-dessus des autres sièges apostoliques. En effet, une tradition constante, consignée dans les écrits d'Origène, d'Eusèbe, de saint Jérôme, de saint Jean Chrysostome[9], attribue à saint Pierre la création du siège épiscopal d'Antioche, vers l'an 37. C'est à ce séjour du Prince des apôtres dans la capitale de la Syrie, que nous devons rapporter le conflit survenu entre lui et saint Paul au sujet des rapports avec les Gentils[10]. Pierre resta sept ans sur le siège d'Antioche (37-44), au témoignage d'Eusèbe de Césarée, et laissa pour successeur saint Evodius[11].
    Outre le diacre Nicolas d'Antioche[12], l'œuvre de Maria Valtorta identifie[13] plusieurs autres évangélisateurs issus de la communauté d'Antioche : Lucius de Cyrène[14], Sylvain (Silas)[15], une personne d'autorité, compagnon de Paul[16], et ce Zénon (Zénas)[17] dont la pratique des échanges commerciaux avait donné une excellente connaissances des lois et coutumes.

    Les données de datation

    Dans sa lettre, Syntica mentionne la mort de Jean d'En-Dor "le sixième jour avant les nones de juin selon les romains, à peu près à la nouvelle lune de Tamouz pour les hébreux" (EMV 461.16).

    Cette correspondance des deux calendriers a été remarquée par Jean Aulagnier, puis par Jean-François Lavère car une telle conjonction de la nouvelle lune (néoménie) de Tamouz avec le 31 mai (sixième jour avant les nones de juin) ne se retrouve que tous les 19 ans. Au début du premier siècle, il n'y a que trois dates possibles: l’an 10, l’an 29 et l’an 48. Durant la vie de Jésus il s’agissait donc du 31 mai 29, à coup sûr. À partir de là il devenait possible de tout dater de proche en proche.de déterminer la datation de la vie du Christ selon les données recueillies dans l'œuvre.

    Objections soulevées

    On a objecté que la mention "sixième jour avant les nones de juin" était un terme incorrect puisque les nones de juin tombent le 5 juin et qu'il n'y a donc pas en juin de "sixième jour avant" et que le la lune de Tamouz ne tombait pas le 31 mai.

    Réponse de Jean-François Lavère

    En effet, d'après ce qu'on connaît aujourd'hui de l'usage du calendrier julien en vigueur à l'époque de Jésus, les nones de juin tombaient effectivement le 5 juin, et donc "6 jours avant les nones", c'est donc "la veille des calendes"!

    D'après toute la chronologie "valtortienne", ceci se passait en l'an 29, et les nones eurent donc lieu le dimanche 5 juin 29. "Six jours avant les nones" représentent donc le mardi 31 mai 29, et en toute rigueur Syntica "aurait du" écrire "la veille des calendes", ou "pridie calendas" ou "deux jours avant les calendes". (Syntica étant une jeune esclave grecque ayant vécu en Palestine, ne maîtrisait peut-être pas toutes les subtilités de la langue latine ?). Quoi qu'il en soit, ce qui est remarquable dans la phrase de Syntica, c'est l'indication qui suit immédiatement: "quasi alla neomenia di Tamuz".

    En effet, l'Astronomie nous confirme qu'en mai/juin 29, la nouvelle lune eut lieu le mardi 31 mai 29, (à 23h31 heure locale !). Elle fut donc en fait "constatée" le soir du 1er juin (soit le 2 juin selon la manière juive de commencer la journée au coucher du soleil).

    L'Astronomie prouve que cette année là, et seulement cette année là, les calendes de juin et la néoménie (nouvelle lune) de Tamouz coïncidèrent à un jour près. C'est un événement assez rare pour que la grecque Syntica l'ait souligné. D'où le mot "quasi" qu'indique parfaitement le texte transmis par Maria Valtorta !

    Date Julienne                         Phase lunaire (selon éphémérides de la NASA)

    1er juin 26                               entre dernier quartier et nouvelle lune

    dimanche 1er juin 27: premier quartier de lune

    mardi 1er juin 28 :                   entre pleine lune et dernier quartier

    mercredi 1er juin 29 :            nouvelle lune

    jeudi 1er juin 30 :                    entre premier quartier et pleine lune

    vendredi 1er juin 31 :              dernier quartier de lune

    dimanche 1er juin 32 : entre nouvelle lune et premier quartier

    lundi 1er juin 33 :                    pleine lune

    34                                           entre dernier quartier et nouvelle lune

    35                                           premier quartier de lune

    36                                           entre pleine lune et dernier quartier

    37                                           nouvelle lune le 2 juin

    38                                           entre premier quartier et pleine lune

    Les seules années où la nouvelle lune correspond au 1er juin durant le 1er siècle sont les années 10 ; 29 ; 48 ; 67 ; 86 ; 94, selon un cycle de 19 ans (cycle de Méton) correspondant à 235 lunaisons soit 6940 jours

    Mathématiquement, il y a donc une chance sur 7000 pour que la nouvelle lune tombe un premier juin. Mais il n'est plus question de chance ou de hasard dès lors qu'il s'agit de l'an 29 !

    (On comprend l'étonnement et l'enthousiasme d'Annie Jaubert, spécialiste des calendriers des temps bibliques au CNRS (Commissariat National de la Recherche Scientifique), lorsque Jean Aulagnier lui communiqua cette information !).

    La phrase de Syntica, "imparfaite" du point de vue "linguistique", apporte cependant une information fondamentale du point de vue scientifique, puisqu'elle permet de "caler" les calendriers juliens et hébraïques, en même temps qu'elle "conforte" la période du ministère public de Jésus, entre l'an 27 et l'an 30.

    Comment expliquer que Maria Valtorta ait pu concevoir une phrase à la fois maladroite et pertinente, sinon qu'elle l'ait reçue par une Révélation privée authentique ?

    Par ailleurs l’affirmation pour laquelle Tamouz ne peut pas tomber le 31 mai est exacte à notre temps, puisque la Pâque du 15 Nisan (jour de pleine lune) est fixée après l’équinoxe de printemps, donc après le 21/22 mars.

    …Sauf que depuis les grecs Méton et Eudoxe, et jusqu’au 5e siècle environ, la date de l’équinoxe était fixée au 18 mars, donc la Pâque, en cas extrême, pouvait tomber le 18 ou 19 mars. En l’an 29 la pleine lune eut lieu le 18 mars, jour de l’équinoxe « apparent », et la Pâque le 19 mars.

    Beaucoup d’historiens, ignorants cette règle (qui était pourtant encore en usage dans le judaïsme au 4e siècle), placent la Pâque à la pleine lune suivante (le 17 avril 29), mais doivent alors supposer que l’an 29 fut une année embolismique, ce qui contredit le Canon pascal de st Hippolyte de Rome, qui la fixe en l’an 28).

    En l’an 29, très exceptionnellement, le mois de Tamouz débuta donc début juin.

    Lorsque Jean Aulagnier présenta sa « découverte » à la spécialiste des calendrier hébraïques Annie Jaubert, elle en fut surprise et émerveillée, car cette limite inférieure du 18 mars julien pour fixer la Pâque en ce temps là, n’est plus guère connue de nos jours.

    Notes et références

    1. Cf. Philippiens 4,2.
    2. Actes des apôtres 11,26
    3. EMV 461.13.
    4. Plusieurs passages de l'Évangile laissent transparaître ce point de vue dont le fait que Jésus se rend impunément à Béthanie, dans la banlieue de Jérusalem, alors qu'il est condamné par le Sanhédrin.
    5. Cf. La Force des martyrs, dans les écrits de Maria Valtorta. Recueil conçu, réalisé et mis en perspective par François-Michel Debroise et Benoît de Fleurac, CEV 2022. "Le sang des martyrs", p.21-25 et "Les premiers martyrs morts à Rome en 64, sous Néron", p. 52-66.
    6. Matthieu 27,19.
    7. Les Églises orientales pré-chalcédoniennes. Église catholique en France.
    8. Vailhé Siméon. L'ancien patriarcat d'Antioche. In: Échos d'Orient, tome 2, n°5, 1899. pp. 216-227;
    9. L'auteur renvoie aux travaux monumentaux de l'Abbé Jacques-Paul Migne (1800-1875) : Patrologie grecque (Patrologia Graeca) et Patrologie latine (Patrologia Latina). Les voici : Origène, Homélies sur l'Évangile de Luc. Homélie 6, Migne, Patrologia Graeca, tome 13, colonne 1815 | Eusèbe, Histoire ecclésiastique, Livre III, section 6, tome 20, colonne 288 | Saint Jérôme, Commentaire sur l'épître de saint Paul aux Galates, Chapitre 2, Patrologia Latina, Migne, Tome 26, colonne 341 et De viris illustribus, chapitre 1 | Saint Jean Chrysostome, Homélie sur saint Ignace d'Antioche, Patrologia Graeca, tome 50, colonne 591.
    10. Galates 2,11 et suivants.
    11. Évode d'Antioche, mort en 69 reste assez méconnu. On le dit membre des 72 disciples envoyés en mission, mais aussi converti par St Pierre, ce qui est contradictoire,
    12. Actes 6,5.
    13. Dictionnaire des personnages de l'Évangile, selon Maria Valtorta, René Laurentin, François-Michel Debroise, Jean-François Lavère, Salvator 2012, p.420.
    14. Actes 13,1.
    15. Actes15,22 et 32.
    16. Actes 15,40.
    17. Tite 3,13.