Dix lépreux guéris
Parmi les miracles de Jésus, la guérison des dix lépreux (Luc 17,11-19) se distingue par son apparent minimalisme: les dix lépreux ne sont pas guéris de manière démonstrative. Personne n’en est témoin: c’est en chemin pour aller se montrer aux prêtres qu’ils sont guéris. Les apôtres ne le savent que par le retour du seul samaritain qui "glorifie Dieu à pleine voix" et se prosterne devant Jésus. Cela pose question à l'exégèse.
Pourtant, chez Maria Valtorta[1], cet épisode prend un sens prophétique qu'éclaire le discours du samaritain et les paroles de Jésus: les "étrangers", les païens, ont accueillis la Parole. Après la Rédemption, désormais proche, qui ôtera la "lèpre" spirituelle, s'ouvrira l’ère de leur évangélisation.
Les questions soulevées par l'exégèse[modifier | modifier le wikicode]
Un mode de guérison inhabituel[modifier | modifier le wikicode]
L'Évangile rapporte trois guérisons de lépreux: celle de Marc 1,40-45 | Luc 5,12-16. Celle du lépreux guéri au pied de la montagne (Matthieu 8,1-4) et celle-ci (Luc 17,11-19). Jésus demande aux dix lépreux d'aller voir le prêtre, selon l'obligation légale, alors qu'ils ne sont pas guéris et que rien (paroles ou acte) n'ait laissé supposer qu'ils étaient guéris. Ils le sont en chemin.
Un "étranger"[modifier | modifier le wikicode]
Il ne s'agit pas d'une parabole où les rôles pourraient être attribués pour l'édification des auditeurs (ex. celle du bon samaritain). Il s'agit d'un épisode réel dans lequel le seul reconnaissant qui revient remercier et louer Dieu, est un "étranger" (verset 18). Pourquoi cette singularité ?
"Ta foi t'as sauvé"[modifier | modifier le wikicode]
Les dix lépreux sont guéris (verset 19), mais Jésus précise au samaritain: "Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé". Ils sont pourtant tous partis sur l'autorité d'une simple parole et tous en ont été récompensés. Quelle est, dans ce cadre, la spécificité de la confession de "l'étranger" ?
L'approche comparée de Luc et de Maria Valtorta[modifier | modifier le wikicode]
Dans l'œuvre de Maria Valtorta, l'épisode se situe au cours d'un des derniers voyages apostoliques. Dans huit mois ce sera la Passion. Seul Jésus le sait.
Le contexte[modifier | modifier le wikicode]
Comme le rapporte Maria Valtorta en référence à Jean 7,1-10, Jésus, menacé de mort, ne part pas à Jérusalem avec sa famille pour le pèlerinage des Tentes (Soukkot), mais prend un itinéraire détourné[2]. L'itinéraire habituel des pèlerins de Galilée traverse la Samarie[3]. L'autre la contourne par la vallée du Jourdain et la Pérée. Jésus est attendu sur ces deux itinéraires. Judas lui propose une "ruse": prendre l'itinéraire habituel direct en bifurquant à l'entrée en Judée[4]. Ce qui est fait. L'épisode des dix lépreux se comprend dans ce contexte de discrétion.
La veille de cette rencontre, un berger samaritain a vu guérir à distance son fils mourant. Jésus était resté incognito[5]. Le berger avait confessé sa foi dans le Rabbi Jésus dont il avait entendu parler. Cette conviction frappe les apôtres qui commencent à regarder les samaritains d'un autre œil.
Les apôtres, tout en marchant, méditent sur le chemin accompli depuis leur rencontre avec Jésus, leur transformation, leur mission future de continuateurs et surtout les souffrances que Jésus devra subir comme il leur a annoncé sans qu'ils en saisissent complètement le sens. Ils font le bilan de tout cela et doutent de leur capacité à être à la hauteur: évangéliser la Judée n’est pas aussi facile qu’ils le croyaient.
La supplique[modifier | modifier le wikicode]
Dans Luc 17,13, Jésus est interpellé avec le titre, rare dans les récits de guérison, de "Maître". Les lépreux le reconnaisse comme un Rabbi accessible à la compassion et capable de les guérir. Dans Maria Valtorta l'interpellation est plus forte: "Jésus ! Rabbi Jésus ! Fils de David et notre Seigneur, aie pitié de nous[1]." Les dix lépreux ne s'adressent pas à n'importe quel Rabbi, mais à Jésus spécifiquement. Ils le reconnaissent comme Messie et "leur" Seigneur. Les apôtres eux-mêmes le reconnaissaient comme "Maître et Seigneur"[6]. La foi des lépreux est donc forte, ce qui justifie qu'ils se mettent en route sur l'autorité de simples paroles, sans aucun acte. C'est une conviction personnelle qui transparaît dans leur seconde supplication: "Jésus, aie pitié de nous !"
Les dix lépreux s'en vont donc au grand soulagement des apôtres: "Tu as bien fait de ne pas les guérir. Ceux du village ne nous auraient plus laissé aller..." - "Oui, et il faudrait arriver à Éphraïm avant la nuit[1]".
Le retour du samaritain[modifier | modifier le wikicode]
Brusquement la voix de "l'un des lépreux" se fait entendre et se met à prophétiser l'avènement des temps messianiques à l'adresse des pèlerins en route vers Jérusalem. La proclamation est riche de références aux Écritures[7]:"Louange au Dieu Très-Haut et à son vrai Messie. En Lui, se trouve toute puissance, sagesse et pitié ! Louange au Dieu Très-Haut, qui, en Lui, nous a accordé la paix. Louez-le, vous tous, hommes de Judée et de Samarie, de la Galilée et d'au-delà du Jourdain, jusqu'aux neiges du très haut Hermon, jusqu'aux pierres brûlées de l'Idumée, jusqu'aux sables baignés par les eaux de la Mer Grande, que résonne la louange au Très-Haut et à son Christ. Voici accomplie la prophétie de Balaam[8]. L'Étoile de Jacob resplendit sur le ciel rétabli de la patrie réunie par le vrai Berger[9]. Voilà accomplies aussi les promesses faites aux patriarches ! Voici, voici la parole d'Élie qui nous aima. Écoutez-la, ô peuples de Palestine, et comprenez-la. On ne doit plus boiter des deux côtés[10], mais on doit choisir pour la lumière de l'esprit, et si l'esprit est droit, il fera un bon choix. Lui est le Seigneur, suivez-le ! Ah ! jusqu'à présent nous avons été punis parce que nous ne nous sommes pas efforcés de comprendre ! L'homme de Dieu a maudit le faux autel en prophétisant : "Voici que va naître de la maison de David un Fils appelé Josias[11] qui immolera sur l'autel et consumera les os d'Adam. Et alors l'autel se déchirera jusqu'aux viscères de la Terre et les cendres de l'immolation se répandront au nord et au midi, à l'orient et là où le soleil se couche". Ne faites pas comme ce sot d'Ochozias, qui envoyait consulter le dieu d'Eqrôn (Acaron) alors que le Très-Haut était en Israël[12]. Ne soyez pas inférieurs à l'ânesse de Balaam[13] qui pour son respect à l'esprit de lumière aurait mérité la vie, alors que serait tombé frappé le prophète qui ne voyait pas. Voici la Lumière qui passe parmi nous. Ouvrez les yeux, ô aveugles de l'esprit, et voyez[14]"Les apôtres qui voulaient la discrétion, essayent en vain de le faire taire. La foule s'amasse:
"Et que voulez-vous ? Que je ne glorifie pas les grandes choses que Dieu m'a faites ? Voulez-vous que je ne le bénisse pas ?" - "Bénis-le dans ton cœur et tais-toi" lui répondent-ils, fâchés. "Non, je ne puis me taire. Dieu met les paroles sur mes lèvres " et il reprend à haute voix : "Gens des deux endroits de frontière[15], gens qui passez par hasard, arrêtez-vous pour adorer Celui qui régnera au nom du Seigneur. Je me moquais de tant de paroles, mais maintenant je les répète car je les vois accomplies. Voici que toutes les nations s'ébranlent[16] et viennent joyeuses vers le Seigneur[17] par les chemins des mers et des déserts[18], par les collines et les monts[19]. Et nous aussi, peuple qui avons cheminé dans les ténèbres, nous allons marcher vers la grande Lumière qui a surgi, vers la Vie, en sortant de la région de la mort[20]. Loups, léopards et lions que nous étions, nous allons renaître dans l'Esprit du Seigneur et nous nous aimerons en Lui, à l'ombre du Rejeton de Jessé devenu un cèdre sous lequel campent les nations rassemblées par Lui aux quatre coins de la Terre. Voici venir le jour où la jalousie d'Éphraïm prendra fin parce qu'il n'y a plus Israël et Juda, mais un seul Royaume : celui du Christ du Seigneur. Voilà, je chante les louanges du Seigneur qui m'a sauvé et consolé. Voilà, je dis : louez-le et venez boire le salut à la source du Sauveur. Hosanna ! Hosanna aux grandes choses que Lui fait ! Hosanna au Très-Haut qui a placé au milieu des hommes son Esprit en le revêtant de chair, pour qu'il devienne le Rédempteur !"
L'annonce des temps messianiques[modifier | modifier le wikicode]
Les apôtres indisposés se retournent vers Jésus: "Mais fais-le taire, Seigneur. C'est un samaritain : les gens le disent. Il ne doit pas parler de Toi si tu ne permets même pas que nous te précédions en t'annonçant !" Jésus les renvoie à Moïse exultant de ce qu'Eldad et Madad prophétisaient dans les campements[21]. Mais il accède à leur demande. La samaritain se jette aux pieds de Jésus qui délivre à la foule le sens de l'évènement: l'avènement des temps messianiques que les siens n'ont pas reçus:"Lève-toi. Et les autres où sont-ils ? N'étiez-vous pas dix ? Les neufs autres n'ont pas éprouvé le besoin de remercier le Seigneur. Et quoi ? Sur dix lépreux dont un seul était samaritain, il ne s'est trouvé que cet étranger pour éprouver le besoin de revenir pour rendre gloire à Dieu, avant de se rendre lui-même à la vie et à sa famille ? Et on l'appelle "samaritain". Ils ne sont plus ivres alors les samaritains, puisqu'ils voient sans avoir la berlue et accourent sans chanceler sur le chemin du Salut ? La Parole parle donc un langage étranger, s'il est compris par les étrangers et pas par ceux de son peuple ?[22]"Le samaritain, qui demande un nouveau nom, reçoit celui d'Ephrem: "Lève-toi et va-t-en. Ta foi a sauvé en toi quelque chose de plus que ta chair. Avance dans la Lumière de Dieu. Va." [...] "Et désormais tu t'appelleras Ephrem, parce que c'est deux fois que la Vie t'a donné la vie[23]. Va."
C’est dans ce contexte que la guérison des dix lépreux prend son sens prophétique en introduisant la prophétie d’Ephrem, le lépreux samaritain reconnaissant. Cet "étranger" est le seul à revenir, non pour remercier simplement de sa guérison, mais pour annoncer publiquement l'avènement du Messie qu’il a su reconnaître. Le sens prophétique de cet épisode n'apparaîtra vraiment qu’après la Passion qui ôtera la "lèpre" spirituelle et ouvrira l’ère de l’évangélisation aux "étrangers".
Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ 1,0 1,1 et 1,2 EMV 483.7.
- ↑ EMV 478.6: "Je n'irai pas maintenant publiquement au Temple, et je n'y siégerai pas car ce n'est pas mon heure."
- ↑ Nazareth → vallée d’Esdrelon → monts de Samarie (près de Sichem/Naplouse) → Béthel → Jérusalem.
- ↑ EMV 481.6.
- ↑ EMV 482.3/9.
- ↑ Jean 13,13.
- ↑ Une science qui n'est pas attribuable à Maria Valtorta. Elle n'avait reçu sa première Bible que quatre ans auparavant et ne l'avait pas lu en entier.
- ↑ La prophétie de Balaam se trouve en Nombres 24,15-19 et l’ânesse de Balaam en Nombres 22,20-35. Entre ces deux citations, les autres passages se réfèrent à 1 Rois 13, 1-5 | 2 Rois 1, 15-16.
- ↑ Nombres 24,16-17.
- ↑ 1 Rois 18.21.
- ↑ Roi de Juda (640 av. JC) qui ramena Israël au vrai culte en détruisant systématiquement les traces du culte assyrien. Il alla même jusqu'à répandre des ossements humains sur les ruines ou les cendres pour les rendre définitivement impropres aux fonctions cultuelles. Il restaure le Temple et on y découvre le Livre de la Loi enfoui. La lecture du Deutéronome retrouvé est l'occasion d'une grande émotion et d'une grande dévotion. (2Rois, chapitres 21 à 23).
- ↑ 2Rois 1,1 et suivants.
- ↑ Nombres 22,22 et suivants.
- ↑ EMV 483.8.
- ↑ Ils sont à la frontière entre la Samarie et la Judée.
- ↑ Aggée 2,7.
- ↑ Isaïe 2,2-3.
- ↑ Isaïe 35,4-10.
- ↑ Isaïe 49,12.
- ↑ Isaïe 9,1.
- ↑ Ils avaient reçu l'Esprit comme les soixante-dix anciens, alors qu'ils n'étaient pas concernés. Puisse tout le peuple de Dieu devenir un peuple de prophètes ! répond Moïse (Nombres 11, 26-30).
- ↑ EMV 483.9.
- ↑ Éphraïm (אֶפְרַיִם) vient de la racine hébraïque פָּרָה (parah), qui signifie "être fécond", "se multiplier" ou "porter du fruit". Le nom est souvent interprété comme "double fécondité" ou "très fécond".